Par Daniel Vigneron
Plus que jamais divisés sur les migrants, les Etats-membres offrent une nouvelle fois le spectacle d’une Europe en crise. Mesurée par les eurobaromètres, l’opinion publique de certains pays perd confiance dans les institutions. Mais l’idéal européen n’est pas mort.
Une fois de plus, les dissensions, voire les invectives, à propos des flux de réfugiés plongent l’Union européenne dans les turbulences. Les chefs d’Etat ne parviennent à s’accorder sur la façon de gérer l’arrivée des migrants traversant la Méditerranée.
Au même moment, des dizaines de milliers de personnes défilent à Londres pour clamer leur hostilité au Brexit qui risque de plonger le Royaume-Uni dans une sérieuse crise économique si les départs de groupes industriels comme Airbus devaient se confirmer.
Dans cette atmosphère trouble, où en est donc l’opinion des Européens à l’égard de l’UE et des grandes questions qui l’agitent ? Les vastes enquêtes d’opinion réalisées tous les ans dans le cadre des Eurobaromètres sont riches d’enseignements à cet égard.
Enquêtes d’opinion : des résultats nuancés, parfois surprenants
Le spectacle de désunion qu’offrent continuellement les pays-membres montre combien les intérêts et les égoïsmes nationaux sont en train de prendre le pas sur les intérêts néanmoins communs des 28 pays de l’Union.
De là à dire que l’idée européenne est en train de mourir, il y a un grand pas que les études d’opinions nous invitent à ne pas franchir. Publiés plusieurs fois par an par la Commission ainsi que par le Parlement européen, les eurobaromètres nous offrent, à intervalles réguliers, une photographie très précises de l’opinion des Européens qui, à chaque enquête, sont plus de 28.000 à être sondés.
Il en ressort des résultats nuancés et parfois surprenants. D’abord, le front des pro et des anti-européens a beaucoup bougé depuis une quinzaine d’années et certaines évolutions sont inattendues.
Les Italiens décrochent, Allemands et Scandinaves enthousiastes
Par les temps qui courrent, personne ne s’étonnera de l’évolution de l’opinion italienne. A la question : « l’appartenance de mon pays à l’UE est-il une bonne chose ? », 60% des Italiens répondaient « oui » en 2000. En 2018, ils ne sont plus que 39%.
Une évolution totalement contraire à celle de l’opinion espagnole qui reste satisfaite à 68%. Quant aux Français, contrairement à ce que l’on pourrait penser, ils sont satisfaits à 55%, soit six points de mieux qu’en 2000.
Moins connu encore, le fait que Suédois et Danois étaient plutôt hostiles à leur appartenance à l’UE en 2000, alors qu’à plus des deux tiers, voire des trois quarts, ils en sont très satisfaits aujourd’hui. Et puis sait-on que seulement quatre Allemands sur dix étaient contents, il y a 18 ans, de leur appartenance à l’Union ? Aujourd’hui, c’est huit sur dix, un plébiscite !
Enfin, cerise sur le gateau, les Britanniques qui vont normalement quitter le navire dans moins d’un an sont aujourd’hui près de 50% à se satisfaire de l’UE, soit deux fois plus qu’en 2000 !
Des évolutions explicables
Il faut dire que les Britanniques craignent de perdre des entreprises et des marchés en quittant l’Union tandis que l’Allemagne ne peut que constater que sa prospérité économique doit beaucoup à l’UE.
Quant aux pays de l’Est, les aides européennes parviennent tout à fait à les satisfaire puisque 60% des Hongrois et même 70% des Polonais considèrent que leur appartenance à l’Union est « une bonne chose ». Seul vrai bémol, la république tchèque où seulement un tiers des sondés s’en dit satisfait.
Quant au cas de l’Italie, il montre que ce pays se sent délaissé face à la question migratoire. D’ailleurs, quand on leur demande si les intérêts de leur pays sont bien pris compte au sein de l’Union, seul un tiers des Italiens répond oui contre 41% des Français, près de 60% des Suédois et 72% des Allemands !
Certains pays perdent confiance dans l’UE
La confiance dans les institutions européennes est globalement minoritaire, à 42% contre 48% qui n’ont pas confiance. Mais, si l’on regarde l’Allemagne, la confiance a progressé de plus de 12 points depuis huit ans.
Au contraire, elle a reculé de six points en Italie et de cinq points en France. Dans ces deux pays plus de la moitié des citoyens ne font plus confiance aux institutions européennes.
La question migratoire divise profondément l’Union…
Dans plusieurs pays, les citoyens sont très hostiles – à plus de 80% – à l’immigration. Sans surprise, c’est le cas de la Hongrie, de la république tchèque, de la Slovaquie… D’autres encore sont largement hostiles – autour des deux tiers des sondés – comme l’Italie ou la Pologne.
Puis vient un groupe que l’on peut qualifier de central où l’opinion est plutôt défavorable (à 50/55%) à l’immigration : c’est le cas de la France, de la Belgique mais aussi de l’Allemagne et de l’Autriche.
Enfin, par contraste, quelques pays restent nettement favorables à l’ouverture (à plus de 60%) : l’Espagne, le Portugal, la Suède ou l’Irlande. Cette mesure de l’opinion correspond d’ailleurs aux politiques menées par les Etats-membres ou aux inflexions qui sont en cours, comme en Allemagne.
… mais tout le monde souhaite une politique commune
Dans certain cas cependant, les politiques des Etats-membres ne sont pas conformes aux souhaits des citoyens. Alors que le repli sur des politiques nationales de fermeture tend à se généraliser, les Européens sont ainsi plus des deux tiers à réclamer une politique commune de l’immigration.
C’est manifeste en Allemagne, Pays-Bas ou Espagne ou plus de quatre citoyens sur cinq y sont favorables. Mais l’on voit aussi que plus des deux tiers des Français et même des Italiens désirent une politique européenne d’immigration.
Et dans les pays les plus hostiles aux migrants, comme la Pologne ou la Hongrie, la moitié des sondés est favorable à cette politique commune.
Force est ainsi de se rendre compte que l’opinion européenne ne soutient des politiques à relents nationalistes que parce que l’Union ne parvient pas à s’entendre sur une stratégie de long terme. En fait, l’Europe traverse une mauvaise passe mais l’idée européenne n’est pas morte.