Remplacement des F-16 : et si la Belgique allait au devant d’une crise politique majeure ?

Le dossier du remplacement des F-16 belges, entaché d’opacité, divise la Belgique. Les provocations de Bart de Wever, leader du parti nationaliste flamand, agite le spectre de la crise politique de 2010, dans une moindre échelle cependant.
Y a-t-il un pilote dans l’avion Belgique ? Si oui, qu’il se manifeste immédiatement ; le pays frôle de nouveau la crise politique – qui, si elle ne peut être comparée aux remous de 2010, pourrait lui être fatale, voire même dépasser les frontières nationales. De quoi s’agit-il en l’espèce ? Du si bien nommé « F-16 gate », qui prend, au fil des semaines, de plus en plus d’ampleur.
Dernier épisode en date de cette saga politico-industrielle : l’opposition franche entre le Premier ministre élu, Charles Michel, et Bart De Wever, président du parti politique N-Va, député à la Chambre des représentants du Parlement fédéral et bourgmestre de la ville d’Anvers. Le second a récemment pesé de tout son poids pour faire valoir la posture de la N-Va aux dépens de celle du gouvernement. « L’avion de combat français Rafale n’est pas un bon plan, il n’est pas suffisamment performant pour notre défense. La prolongation des F-16 est exclue également », a ainsi déclaré Bart de Wever. « 3,4 milliards pour un appareil qui permet de ne rien faire, cela n’a aucun sens », a-t-il poursuivi.
Du côté du gouvernement, Charles Michel ne l’entend pourtant pas de cette oreille. « La procédure décidée au gouvernement sera respectée et les décisions seront prises au gouvernement sur la base d’informations objectives et nulle part ailleurs » tance le cabinet du premier Ministre, interrogé par l’agence BELGA.
Entre les deux camps, l’oppposition est désormais totale et les tensions politiques paraissent insolubles. Pour l’observateur extérieur, la question se pose : comment en est-on arrivé là ?
« Des fautes graves ont été commises »
A l’origine, un « simple » appel d’offres pour renouveler la flotte aérienne de notre armée, lancé par le ministère de la Défense en mars 2017. Et qui, pendant près d’un an, semblait devoir être remporté par les Américains et leur F-35, qui fêtera le mois prochain les 10 ans de son premier vol.
Sauf que, récemment, quelques voix se sont élevées à Bruxelles et (même Anvers) pour dénoncer le caractère inéquitable du dossier, allant même jusqu’à soupçonner des faits de corruption. En cause, notamment ? Le système de contrôle interne de la Défense, qui serait défaillant. C’est ce que sous-entendait par exemple André Flahaut, le ministre du Budget de la Fédération Wallonie-Bruxelles, sur les ondes de La Première en avril dernier, lorsqu’il affirmait : « Le dossier de remplacement des F-16 est plombé. Il est foutu. Il faut que des têtes tombent, notamment du côté de l’armée, et que des plaintes soient déposées au niveau du pouvoir judiciaire ».
Selon lui, en effet, « des fautes graves ont été commises ». Sur quoi se base-t-il ? Une étude – visiblement classée « top secret » – du constructeur des F-35, Lockheed Martin, selon laquelle la durée de vie des appareils pouvait être prolongée de six ans, contrairement à ce que prétendait la Défense. Qui semble de bonne foi – pour ce qui est du cabinet du ministre, Steven Vandeput, en tout cas. Y a-t-il eu tentative de corruption à un ou plusieurs étages inférieurs ? La question ne manque pas de tarauder les commentateurs de la vie politique en Belgique. Mais également les Français, en piste également pour le renouvellement de nos avions de chasse.
Reprendre le dossier sur des bases claires
Le 15 mai dernier, une délégation ministérielle arrivée tout droit de Paris, sur invitation du Premier ministre belge, a d’ailleurs tenté de convaincre les responsables de l’appel d’offres du bien-fondé de la solution française. Sans succès. La France est pourtant arrivée avec dans sa besace, rien moins que 34 Rafale et l’assurance de voir se développer, à plus ou moins long terme, un axe franco-allemand pour une Défense européenne. A la place, donc, le ministre Vandeput, porte-voix de facto du N-VA au gouvernement, semble favoriser l’axe Bruxelles-Washington. Et, surtout, l’OTAN – à laquelle la Belgique ne participe pourtant que très peu.
Cette divergence fondamentale entre, d’un côté, des intérêts européens et, de l’autre, de accointances atlantistes, constitue d’ailleurs un point de crispation sévère dans le pays, les premiers soutenant clairement le bloc des Vingt-Sept. Les seconds, quant à eux, étant rassurés dans leur tropisme américain par des pays comme la Pologne ou les Pays-Bas, qui n’ont pas hésité à appuyer la présente offre des États-Unis.
Entre les deux, la N-va semble avoir choisi son camp (elle s’est ainsi affichée à l’ambassade des Etats-Unis). Ajoutez à cela des élections communales qui approchent en Belgique, et le comportement de Bart de Wever fait sens. Une démarche « politicienne » qui pourrait coûter cher au plat pays.
L’heure n’est pourtant pas à la précipitation. D’un point de vue interne, toute décision hâtive semble également délicate ; le pays n’a pas encore pansé toutes les plaies de 2010. D’autant que l’opacité de l’appel d’offre pourrait jeter de l’huile sur le jeu politique en divisant davantage les deux parties. Le mieux, à court terme, serait donc que le gouvernement et la N-Va s’accordent pour reprendre le dossier sur des bases claires, et le repousser de quelques années s’il le faut.
S’il y a un pilote dans l’avion Belgique, en tout cas.
Philippe Escande