La Commission européenne propose de supprimer le changement d’heure mais laisse les Etats libres d’opter pour l’heure d’été ou l’heure d’hiver. S’il ne respectait pas la logique solaire en se coordonnant, le continent pourrait se retrouver dans un capharnaüm temporel.
Dimanche dernier, les Européens ont tous retardé leur montre à l’heure d’hiver, peut-être pour la dernière fois. Car, à la suite de l’approbation de 80% des près de 5 millions d’Européens consultés par internet cet été, la Commission européenne propose de mettre fin au changement d’heure à partir d’avril prochain.
Il appartiendra alors aux Etats de choisir librement à quelle heure – d’hiver ou d’été – ils souhaitent désormais demeurer toute l’année. Toutefois, la Commission invite les pays-membres à « coordonner leurs choix ».
Ce n’est pas encore la fin du changement d’heure. La Commission européenne le propose mais la décision devra être entérinée par le parlement et tous les Etats-membres au plus tard en mars prochain si l’on veut que le prochain passage à l’heure d’été, le dernier week-end de mars 2019, ou bien ne se fasse pas, ou bien se fasse pour la dernière fois puisque chaque pays sera libre de rester définitivement à l’heure d’hiver ou bien de passer définitivement à l’heure d’été.
Le gain énergétique de l’heure d’été s’amenuise
L’heure d’été, qui existe depuis 1916 au Royaume-Uni, a été rétablie dans les pays d’Europe continentale entre 1976 (pour la France) et le début des années 80 (pour tous les autres pays européens).
Il s’agissait, à l’époque des chocs pétroliers, d’économiser l’énergie en rallongeant la durée d’ensoleillement des soirs de printemps et d’été. Mais aujourd’hui, les économies d’énergies ont nettement diminué ce bénéfice du fait de la moindre consommation électrique de l’éclairage privé et public et du chauffage.
En revanche, les inconvénients du changement d’heure demeurent : effets sur le métabolisme animal et humain (surtout pour les enfants), sécurité routière, coûts d’adaptation pour les industries de transport… Ces facteurs, conjugués à la montée des valeurs de « retour à la nature » expliquent que les citoyens ne voient plus l’utilité du changement d’heure, comme le montre la consultation internet de cet été.
Le décalage se creuse sur l’heure solaire
L’heure d’été n’est d’ailleurs pas très naturelle. L’heure est déterminée par le niveau du soleil dans le ciel, la convention plus que millénaire étant qu’il est midi lorsque le soleil est au zénith. Avancer l’heure de 60 minutes revient donc à se décaler d’une heure par rapport au soleil. Les Italiens appellent d’ailleurs l’heure d’hiver « heure solaire » et l’heure d’été « heure légale ».
Mais le vrai problème est que dans certains pays, en France notamment, le décalage moyen par rapport au soleil atteint non pas une mais deux heures avec l’heure d’été. Pourquoi ? Parce qu’à l’automne 1945, plutôt que de revenir à l’heure « naturelle » française d’hiver, qui est celle du méridien de Greenwich (GMT, celle de Londres), il a été décidé de ne conserver que l’heure d’été (à GMT + 1).
Trente ans plus tard, c’est une nouvelle heure d’été qui a été instaurée, encore une fois décalée d’une heure à GMT + 2. Et si la France devait choisir de rester à l’heure d’été, le décalage de deux heures sur l’heure solaire resterait permanent toute l’année.
La civilisation des loisirs a tué le soleil
Comme ils parlent d’artificialisation des sols, les défenseurs de la nature voient d’un mauvais œil ce qui ressemble à une « artificialisation du temps ». Mais ce débat reste à caractère philosophique.
En réalité, l’heure solaire ne correspond plus à nos modes de vie urbains. L’homme moderne veut se prélasser longuement à la terrasse des cafés l’été, à la lumière déclinante du jour. Et c’est un enjeu économique important pour l’industrie des loisirs.
Au début du XXème siècle, au temps de l’heure du soleil, la population des paysans et des ouvriers se levait très tôt, dinait tôt, vers 17h00, et se couchait en été avec le soleil vers 20h30. C’est la civilisation des loisirs qui a tué l’heure du soleil. Cela étant dit, la vraie question qui se pose est celle de la cohérence des horaires en Europe.
Attention aux aberrations !
Dans le choix proposé entre heure d’hiver et heure d’été, les pays du nord ont tendance à préférer l’heure d’hiver dans la mesure où ils ne veulent pas d’un jour qui se lève en hiver à près de 10 heures du matin, cela d’autant moins que repousser le coucher de soleil de 16h30 à 17h30 ne présente qu’un intérêt limité.
Ce n’est donc pas un hasard si la Finlande, le Danemark et les Pays-Bas se prononcent déjà pour l’heure d’hiver. Plus au sud au contraire, on apprécie beaucoup les longues soirées d’été dont jouissent de toute façon les pays septentrionaux.
Aucune décision n’a encore été prise dans de nombreux pays. En Belgique, on évoque l’idée de consultation nationale. En France, en Espagne, l’opinion pencherait plutôt pour l’heure d’été, en Allemagne, c’est très indécis.
Mais comme chaque pays est souverain, on pourrait se retrouver dans des situations aberrantes. Par exemple, si l’Allemagne choisissait l’heure d’hiver et la France l’heure d’été, il serait 16 heures en France et 15 heures en Allemagne alors qu’au soleil, la France est en moyenne en avance d’une heure sur sa voisine et non en retard ! Pour la première fois, on remonterait le temps en se dirigeant vers l’orient…
Ne pas s’éloigner de la rationalité astronomique
Comme le recommande la Commission, les décisions nationales devront être coordonnées mais il faudra tenir compte des lois de l’astronomie.
Actuellement, il n’est déjà pas très rationnel que la France, l’Espagne ou les Pays-Bas soient à la même heure que l’Allemagne, l’Autriche ou l’Italie. Cette situation date au demeurant de l’occupation allemande de l’Europe de l’Ouest en 1940.
La solution satisfaisante voudrait donc que les pays situés à l’ouest – comme la France – choisissent l’heure d’hiver et les pays plus à l’est – comme l’Allemagne – optent pour l’heure d’été. Ce décalage serait conforme aux fuseaux horaires sans poser pour autant plus de problèmes techniques que le changement d’heure actuel.
Mais si les discussions entre Etats n’aboutissent pas du fait d’opinions publiques hostiles, on peut parier que la suppression du changement d’heure sera renvoyée aux calendes grecques. C’est le cas de le dire puisque la Grèce à déjà annoncé qu’elle conserverait heure d’hiver et heure d’été !