La défense de l’Europe a été l’occasion d’une vive confrontation entre présidents américain et français. La question divise aussi les Européens qui n’ont pas la même approche du rôle de l’OTAN. La marche vers l’Europe de la défense sera un long chemin.
Faites à la veille des cérémonies de commémoration de l’armistice de 1918, les déclarations d’Emmanuel Macron sur la nécessité d’une vraie armée européenne ne sont pas passées inaperçues.
Elles ont reçues il y a deux jours le soutien de la chancelière allemande Angela Merkel qui partage l’objectif d’une véritable armée européenne tout en l’envisageant, précise-t-elle, dans le cadre de l’OTAN (Organisation du Traité de l’Atlantique Nord).
Mais surtout, les propos du président français avaient été jugés le 9 novembre « très insultants » par le président américain Donald Trump dans un tweet qu’il a d’ailleurs réitéré quatre jours plus tard.
Peu importe que Trump ait fait preuve de la mauvaise foi qui lui est coutumière en feignant de croire que cette armée européenne était dirigée contre les Etats-Unis. Emmanuel Macron n’a rien dit de tel puisqu’il faisait référence aux cyber-attaques venues de l’extérieur.
Mais cette passe d’armes traduit une divergence profonde entre Trump et Macron : le premier entend que la défense européenne continue à être assurée dans le cadre de l’OTAN que les Etats-Unis contrôlent et le second appelle à s’affranchir progressivement de cette dépendance. Le vrai bras de fer est là.
Mieux partager le fardeau financier de l’OTAN
Si le président américain rêve de se désengager de l’OTAN, c’est seulement sur un plan financier. Car l’un des éléments déterminants de la puissance des Etats-Unis est le rôle qu’ils jouent depuis plus d’un demi-siècle dans la défense de l’Europe.
Après avoir initialement jugé « obsolète » l’OTAN, Trump entend désormais que le fardeau financier soit mieux partagé entre l’Europe et l’Amérique. Il est d’ailleurs convenu depuis 2014 que les budgets européens de la défense atteignent au moins 2% du PIB.
Or, certains pays, comme l’Italie et surtout l’Allemagne en sont très loin. D’où l’irritation de Donald Trump qui voudrait des résultats beaucoup plus rapides et va jusqu’à évoquer un nouvel objectif de 4% du PIB, ce qui serait supérieur à l’effort américain lui-même (3,6%) !
Cela dit, l’hôte de la Maison Blanche n’est pas hostile à une implication plus grande des Européens dans leur défense pour peu que celle-ci ne se construise pas hors du cadre de l’Alliance Atlantique.
Volonté d’autonomie européenne
Côté européen, si l’on ne peut encore affirmer que l’on est sur la voie d’une défense indépendante, il y a, surtout depuis le traité de Lisbonne de 2009 et la création de la « politique de sécurité et de défense commune », une volonté indéniable d’autonomiser la défense européenne en réunissant les conditions pour que l’Union se dote un jour de capacités opérationnelles propres.
L’idée est bien de renforcer le rôle international de l’UE en matière de gestion des crises, de maintien de la paix, de prévention des conflits et de coopération industrielle en matière de défense.
Le Traité européen prévoit même – et c’est nouveau – une clause d’assistance mutuelle en cas d’agression armée de l’un des membres de l’UE. Une clause que Paris avait d’ailleurs invoquée après les attentats de novembre 2015.
Mais cette disposition est assortie d’une restriction de taille : « l’OTAN reste le fondement de la défense collective des pays de l’UE et l’instance de sa mise en œuvre ». De fait, l’OTAN a bien pour objet de défendre le territoire européen par la mise sous commandement atlantique des forces armées européennes et sous la protection ultime du parapluie nucléaire américain.
Pas d’intégration militaire ni de mutualisation des matériels
Si l’on excepte quelques tentatives comme l’Eurocorps, à l’origine franco-allemand, resté à l’état embryonnaire, il n’y a pas de forces intégrées proprement européennes.
Pas non plus de mise en commun des moyens de défense, malgré l’activation récente d’une « coopération structurée permanente » (dite « PESCO ») et la création d’un fonds européen de défense destiné à financer la recherche dans le domaine militaire.
Mais pour l’instant, la réalité est le chacun pour soi en matière d’armement. Exemple le plus probant : le fait que cinq pays européens – Pays-Bas, Danemark, Italie, Royaume-Uni et, tout récemment Belgique – ont fait le choix de l’avion de combat F35 américain pour renouveler leurs forces aériennes plutôt que d’acheter des Rafales français ou même des Eurofighters européens ! Ce qui n’est pas de bon augure pour le projet franco-allemand d’avion du futur.
Une « initiative d’intervention » à la française…
Pourtant, il y a des avancées. Le 7 novembre dernier s’est tenue à Paris la première réunion des membres de l’Initiative européenne d’intervention (IEI).
Une organisation comptant désormais dix pays-membres (dont l’Allemagne, le Royaume-Uni, le Bénélux, la Finlande…) visant à faire émerger une culture stratégique et une planification permettant de conduire un jour des opérations militaires conjointes.
Il faut souligner que cette Initiative ne rentre pas dans le cadre de l’OTAN, ni même dans celui de l’Union européenne, cela afin d’y inclure le Royaume-Uni post-Brexit et un Danemark qui ne participe pas à l’Europe de la défense.
Malgré l’enthousiasme d’Emmanuel Macron, plusieurs partenaires de Paris ne voient dans l’IEI qu’une construction « à la française » venant s’ajouter à d’autres initiatives, prises cette fois dans le cadre de l’OTAN.
… parallèlement à des coopérations à la carte dans le cadre OTAN
Il s’agit en particulier du « concept de nation-cadre » – abrégé FNC en anglais – consistant à organiser une coordination des capacités de plusieurs pays et leur interopérabilité autour d’une armée de référence.
Trois « FNC » ont déjà vu le jour : 16 pays autour de l’Allemagne, 7 pays autour du Royaume-Uni et 6 pays autour de l’Italie. Pas de FNC autour des forces armées de la France qui préfère jouer, hors du cadre OTAN, la carte de cette Initiative européenne d’intervention.
On ne peut pas en conclure que Paris se trouve totalement isolé dans sa quête d’une défense européenne indépendante. Comme on l’a vu, même la chancelière allemande aspire à une « véritable armée européenne » tout en précisant bien qu’elle se situerait « au sein de l’OTAN ». Pour sa part, le président français n’a jamais dit explicitement que cette armée devait se constituer hors du cadre de l’organisation atlantique.
En fait, la plupart des pays de l’Union sont au moins prêts à réfléchir sur les moyens de coopérer indépendamment des Etats-Unis, étant bien entendu qu’une politique de défense européenne unique n’est pas envisageable tant que les nations de l’UE auront des impératifs de sécurité et, surtout, des intérêts géostratégiques divergents.
D’où ces diverses idées de coopération à la carte ou encore « à géométrie variable ». Reste une certitude: personne n’est prêt, hormis la puissance nucléaire régionale qu’est la France, à se passer du parapluie nucléaire américain en abandonnant l’OTAN.