Les ménages les plus modestes sont en moyenne mieux rétribués en France que dans les autres pays européens. Mais les dépenses incontournables de logement ou de transport rendent, à revenu égal, la vie plus difficile aux Français les moins favorisés.
Même si les revendications des « gilets jaunes » se sont élargies aux questions politiques et sociétales, l’insuffisance du pouvoir d’achat est à la base des protestations en France.
La colère se focalise en particulier sur le fait que les ménages modestes, même s’ils travaillent, ne s’en sortent plus alors que les ménages les plus favorisés ne supporteraient pas leur juste part du fardeau fiscal.
Les bas revenus sont relativement élevés en France…
Les Français situés au bas de l’échelle des revenus disposent-ils donc de moins de ressources que leurs voisins ?
Nullement. La France est bien placée en Europe puisque si l’on considère les revenus des 20% de citoyens les plus modestes (ceux du premier quintile de revenus), seuls les Néerlandais, les Danois et les Autrichiens sont un peu mieux rétribués.
Et ce classement tient compte des différences de coût de la vie par le calcul des revenus « à parité de pouvoir d’achat ».
… et ils progressent plus vite qu’ailleurs
Entre 2007 et 2017, selon l’Institut Eurostat, le revenu nominal (hors inflation) des 20% des moins riches a augmenté de 22% dans la zone euro.
Certain pays ont fait beaucoup moins bien que cette moyenne, comme l’Italie (+ 8%) ou surtout le Royaume-Uni (+ 2% seulement).
D’autre ont fait mieux comme le Danemark (+ 24%), la Belgique (+ 26%) ou l’Autriche (+ 31%). Mais le pays d’Europe occidentale ou ces revenus ont le plus progressé en dix ans, c’est la France, avec une hausse de 34% !
Il faut noter que l’Hexagone n’est pas seulement bien placé en matière de revenus modestes. Il l’est également pour toutes les catégories de revenus.
Fiscalité douce pour les revenus élevés dans l’Hexagone
Y compris pour les très hauts revenus, ce qui peut surprendre pour un pays plutôt égalitaire où les écarts de revenus sont plus limités que chez ses grands voisins.
Mais c’est un fait : en France, le revenu annuel moyen des citoyens les plus riches (ceux du dernier centile qui gagnent plus que 99% de la population) atteint 83.000 €, toujours à parité de pouvoir d’achat.
Un record européen (hors Luxembourg) puisqu’en Allemagne, au Royaume-Uni ou aux Pays-Bas, on ne dépasse pas les 75.000 € et on descend même autour de 60.000 en Belgique, Italie, Espagne ou Suède.
Ce niveau record des hauts revenus en France s’explique par la douceur de l’impôt sur le revenu des ménages frappant la classe moyenne supérieure.
De fait, en France, le taux d’imposition à 41% n’est appliqué qu’au dessus de 72.000 € déclarés. Or, ce taux ou son équivalent s’applique à partir de 50 ou 55.000 € en Allemagne, Italie ou Royaume-Uni et même dès 33 ou 36.000 en Espagne ou en Belgique.
C’est une grosse différence qui donne quelques fondements à l’exaspération des manifestants français dénonçant les « privilèges des riches ».
Des dépenses « contraintes » incontournables…
Cela étant dit, constater que les revenus des Français au bas de l’échelle sont parmi les moins faibles d’Europe ne suffit pas à cerner la réalité de ce que vivent ces ménages modestes.
Une manière de le faire consiste à mesurer les « dépenses contraintes », c’est à dire ces dépenses fixes qui reviennent tous les mois et que l’on ne peut moduler. En d’autres termes, des dépenses sur lesquelles on ne peut économiser.
Parmi ces dépenses, celles ayant trait au logement au sens large (y compris l’énergie et l’eau), aux télécommunications ou à l’internet, aux assurances ou encore aux remboursements de crédits.
Non seulement ces dépenses ont considérablement augmenté en France depuis trois décennies, mais elles représentent selon l’INSEE plus de 60% des dépenses totales des ménages pauvres contre 30% en moyenne pour l’ensemble des français.
A défaut de les mesurer pour les ménages modestes, les données statistiques européennes permettent au moins de cerner le niveau de ces dépenses contraintes pour l’ensemble de la population.
Il convient d’y ajouter des dépenses très largement incompressibles comme celles des transports et notamment les frais engendrés par les véhicules particuliers (dont bien sûr le coût des carburants).
… élevées en France…
On constate que la France affiche un taux de dépenses contraintes (y compris le transport) parmi les plus élevés d’Europe – 43,6% des dépenses totales de consommation en 2017 – seulement devancée par le Danemark et le Royaume-Uni.
Des pays comme l’Allemagne, les Pays-Bas ou la Belgique tournent autour de 40% tandis que d’autre, comme l’Autriche, l’Italie ou l’Espagne évoluent un peu au dessus de 35%.
En clair, par rapport aux Français, les Italiens ou les Espagnols ont à leur disposition une part plus grande de leurs ressources consacrée à des dépenses qu’ils peuvent moduler, comme l’alimentation, les vêtements, les loisirs, les cadeaux.
C’est un facteur très important au niveau de ce que l’on peut qualifier de niveau de vie «ressenti».
… surtout en matière de logement et de transport
Un tel niveau de dépenses contraintes en France s’explique pour deux raisons. D’une part, le coût du logement y est élevé (26% des dépenses de consommation).
D’autre part, le coût du transport – que ce soit celui des véhicules particuliers ou celui des transports collectifs – pèse 10% des dépenses de consommation des Français, ce qui est sensiblement plus qu’ailleurs. La géographie du territoire français, vaste et peu urbanisé, peut expliquer cette importance des dépenses de transport.
Du coup, si l’on se réfère au revenu en dessous duquel, selon Eurostat, les ménages peinent à joindre les deux bouts, on constate qu’il est nettement plus haut en France que dans tous les grands pays voisins.
La révolte des gilets jaunes a donc quelques fondements objectifs, même si celle-ci résulte également d’autres facteurs comme l’absence de démocratie participative ou encore le décalage entre discours politique des gouvernants et réalité.
Pour ce qui est des revenus, s’ils sont relativement élevés en France, même pour les ménages modestes, ils sont également plus contraints qu’ailleurs. Enfin, un sentiment d’injustice a pu se faire jour par rapport à l’imposition plutôt douce des contribuables aisés.