Le système des « têtes de listes » (« Spitzenkandidaten ») mis au point en 2014 a peu de chance de fonctionner. Les Etats-membres veulent pouvoir négocier un compromis sur le président de la Commission. De plus, les deux principaux groupes politiques ne dominent plus le Parlement, rendant difficile une coalition majoritaire.
Dans deux mois se dérouleront les élections au Parlement européen. Dans un contexte ou la légitimité démocratique de l’Union européenne est de plus en plus contestée, le Parlement européen a imaginé en 2014 un système dit des « têtes de liste » (en allemand « Spitzenkandidaten ») dans le but d’améliorer la transparence des élections et de permettre aux eurodéputés de désigner le président de la Commission européenne.
Il consiste, pour les groupes politiques du Parlement, à élire des têtes de liste parmi lesquelles, en fonction du résultat du scrutin, le Parlement et les chefs d’Etat et de gouvernement devront désigner le chef de l’Exécutif européen. Un système qui, cependant, cadre assez mal avec les réalités politiques européennes.
Faire dépendre le choix de l’Exécutif du Parlement élu
Jusqu’en 2009, la nomination du président de la Commission européenne dépendait exclusivement d’un accord des chefs d’Etats et de gouvernement réunis au sein du Conseil européen.
Avec l’adoption du Traité de Lisbonne, le candidat désigné par le Conseil doit désormais être choisi « en tenant compte des élections », cette désignation devant être ensuite approuvée par la majorité du Parlement.
Et puis, à la suite des dernières élections de 2014, le Parlement a, sur recommandation de la Commission, mis en place le système des têtes de listes – les « Spitzenkandidaten » – selon lequel le candidat à la présidence de la Commission doit être obligatoirement celui de la tête de liste du parti « vainqueur ».
Une automaticité, qui ne figure pas dans le traité et n’est donc de ce fait toujours pas acceptée par les dirigeants des Etats-membres.
Le système intergouvernemental exige le compromis
Car aux yeux du Conseil européen, l’Union est essentiellement une construction intergouvernementale dont le fonctionnement est fondé sur la recherche permanente de compromis permettant de préserver les intérêts des Etats-membres.
Ces derniers doivent composer avec leur réalité politique interne et exigent une juste répartition des postes à responsabilité de l’UE entre les diverses nationalités.
En outre, la désignation des eurodéputés au scrutin proportionnel engendre un fractionnement des groupes politiques qui ne permet jamais à un seul groupe de détenir la majorité. Dès lors, la notion de « parti vainqueur » est très relative.
La fin de la domination conservateurs/sociaux-démocrates
Depuis trente ans, deux formations dominent le Parlement. Les conservateurs du Parti Populaire Européen (PPE) et les sociaux-démocrates de l’Alliance progressiste des Socialistes et Démocrates (S&D). De 1989 à 1999, le S&D était le parti le plus représenté. Depuis 1999, le PPE dispose du plus grand nombre de députés.
Comme ces formations ont toujours atteint, à elles deux, la majorité absolue, elles se sont partagé alternativement la présidence du Parlement depuis 1989.
Dans cette situation, comment peut fonctionner le système des têtes de liste, compte tenu surtout du fait que, pour la première fois, si l’on en croit les récents sondages, S&D et PPE ne disposeront plus à eux deux de la majorité absolue désormais fixée à 353 députés ?
Donc, désigner le « Spitzenkandidate » le mieux placé reviendrait à nommer a priori président de la Commission la tête de liste du PPE, l’Allemand de la CSU Manfred Weber, puisque le PPE est crédité de 181 sièges contre seulement 135 au S&D.
Une situation d’autant plus complexe que la formation centriste très europhile de l’Alliance des Libéraux et Démocrates pour l’Europe (ADLE) devrait gagner, avec 99 sièges, une trentaine de députés par rapport à 2014 grâce à l’arrivée des eurodéputés macroniens de La République en Marche. Ce n’est pas un hasard si l’ADLE refuse le système des « Spitzenkandidaten » en proposant une équipe de neuf « têtes de liste ».
Pas de « Spizenkandidat » pour tous les partis
Parmi les autres formations, les sociaux démocrates ont désigné le travailliste néerlandais Frans Timmermans (actuel Premier vice-président de la Commission), les Verts un tandem composé de l’Allemande Ska Keller et du néerlandais Bas Eickhout tandis que la droite souverainiste des Conservateurs et Réformistes Européens (ECR) a nommé le tchèque Jan Zahradil, issu de la droite conservatrice.
Pas de tête de liste en revanche pour les deux formations national-populiste, l’Europe des Nations et des Libertés (L’ENL qui réunit le Rassemblement national, la Ligue de Matteo Salvini et le Parti pour la Liberté du néerlandais Geert Wilders) ainsi que l’EFDD de l’Europe de la Liberté qui accueille le Mouvement 5 Etoiles italien, « Debout la France » de Nicolas Dupont Aignan et la droite eurosceptique allemande de l’AFD. La réunion des trois formations eurosceptiques ou populiste totalise à peine 150 eurodéputés.
Des coalitions majoritaires impossibles ?
Un des gros problèmes, pour le système des « Spitzenkandidaten », est que la constitution de coalitions majoritaires s’annonce être un vrai casse-tête.
Finie, on l’a vu, la domination conjointe PPE/S&D. Aucune coalition orientée droite/centre-droit ne peut non plus espérer la majorité. En effet, une alliance théorique entre le PPE, les souverainiste de l’ECR et celle des nouveaux partis à l’Est de l’Europe ne peut espérer plus de 280 sièges, loin de la majorité absolue à 353.
A gauche et au centre, une vaste coalition qui réunirait Sociaux-démocrates, Verts, la gauche de la gauche et les libéraux de l’ADLE pourrait, elle, espérer approcher une majorité. Mais il est irréaliste d’imaginer les libéraux très européens s’allier avec la gauche de Mélenchon ou de Die Linke en Allemagne.
Quant à une alliance centre-droit/centre-gauche fondée sur le rapprochement entre le PPE et les libéraux qui, avec les Verts, frôlerait elle aussi la majorité, elle paraît peu viable du fait des positions marquées anti-immigration du PPE Manfred Weber issu de la CSU bavaroise.
Sans parler du fait que le PPE n’a pu se décider à exclure de ses rangs le très autoritaire hongrois Victor Orban, véritable repoussoir pour les partisans d’un renforcement de l’Europe.
Bref, l’émiettement des forces et surtout l’extrême difficulté de constituer une coalition majoritaire cohérente promet de rendre totalement inopérant le système des têtes de liste.