Le prochain sommet UE-Chine risque d’être délicat. L’Italie s’engage à fond dans la coopération avec Pékin sur le méga projet des « nouvelles routes de la soie ». Mais la France, l’Allemagne et la Commission de Bruxelles voudraient obtenir des garanties et un meilleur partage des retombées.
A quelques jours du sommet Chine-UE du 9 avril et après la visite du président chinois Xi Jinping fin mars en Italie puis en France, la question de la montée en puissance des investissements chinois en Europe et sur les marchés intéressant les entreprises du Vieux Continent se pose plus que jamais.
D’autant que les ambitions chinoises paraissent sans limite avec le projet des « nouvelles routes de la soie » que Pékin veut mettre en œuvre afin d’intensifier les échanges et la coopération entre l’Europe et l’Asie.
Face au géant asiatique, l’Union paraît plutôt divisée comme l’a prouvé la signature par le gouvernement italien d’un mémorandum d’adhésion au projet chinois que les Français et les Allemands souhaiteraient plus équilibré.
Des « nouvelles routes » très chinoises…
Il y a effectivement des raisons de s’inquiéter. Projet de conception chinoise, « les nouvelles routes de la soie » visent à intégrer encore davantage la Chine dans jeu mondial en bâtissant des infrastructures ferroviaires et routières à travers le continent eurasiatique mais aussi des liaisons maritimes impliquant l’Afrique, via la Méditerranée et l’Océan Indien.
Dans le cadre de ces nouvelles routes, la puissance chinoise risque de s’imposer dans les multiples pays concernés en Asie centrale, au Caucase, dans l’Est et au sud de l’Europe ainsi que sur le continent africain.
Ces velléités hégémoniques déterminent l’Europe à pousser sa propre stratégie de connexion Europe-Asie en cherchant à obtenir de Pékin des engagements en terme de normes sociales et environnementales, d’action sur le climat, d’accès aux marchés publics ou de limitation des aides publiques.
L’Italie se pose en allié de Pékin
Le problème est que tous les Européens ne jouent pas le jeu. On connaissait la propension de certains pays de l’Est à jouer leur propre carte. A présent, c’est l’Italie et son gouvernement populiste qui signe – c’est une première pour un pays membre du G7 – un mémorandum d’adhésion aux « Nouvelles routes de la soie ».
De plus, Rome accepte d’ouvrir aux concessionnaires chinois les ports de Gènes et de Trieste et passe un accord de coopération sur les communications de 5ème génération (« la 5g ») dont le chinois Huawei est le porte-étendard. Or Huaweï semble étroitement connecté avec les services de renseignement chinois…
Pourtant, de nombreux pays européens ont commencé à mieux contrôler les investissements extérieurs. Depuis deux ans, l’Allemagne, la France, le Royaume-Uni, l’Espagne et même l’Italie (du temps de Romano Prodi) passent sous revue et soumettent à autorisation les investissements – notamment chinois, mais pas seulement – dans une série de secteurs dits sensibles ou stratégiques.
Des investissements pour l’instant limités mais sous-évalués
Cela dit, il serait très excessif et même inexact de prétendre que la Chine est en train « d’acheter » l’Europe. Alors que le montant total des investissements directs européens en Chine avoisinait, selon l’OCDE, les 200 milliards de dollars en 2017, les investissements chinois dans l’Union européenne atteindraient à peine les 60 milliards de dollars.
De fait, le conditionnel s’impose car, en matière d’investissements directs, les chiffres varient énormément selon les sources. Principale raison : Hong Kong, qui fait partie intégrante de la République populaire, est un centre financier off shore mondial où s’effectuent des millions de transactions financières à destination de toute la planète, ce qui brouille les statistiques de balance des paiements.
Un gros travail d’évaluation à cet égard a été fait par le Rhodium Group, un institut américain qui travaille en particulier avec l’Union européenne. Selon cette source, les flux d’investissements chinois vers l’Europe ont beaucoup diminué ces dernières années du fait des restrictions chinoises aux sorties de capitaux.
Ainsi, les investissements chinois directs vers l’UE seraient revenus de 37 milliards d’euros en 2016 à seulement 17 milliards l’an dernier. C’est moins du dixième, voire du vingtième des investissements américains en Europe…
Le Royaume-Uni loin devant l’Allemagne
Au niveau des pays de destination, toujours selon le Rhodium Group, le cumul des investissements depuis l’an 2000 montre que le Royaume-Uni est la destination favorite des investisseurs chinois avec près de 50 milliards d’euros. L’Allemagne vient loin derrière avec 22 milliards tandis que la France et l’Italie sont autour de 15 milliards.
Mais ces valeurs ne reflètent que partiellement la réalité des investissements chinois car, par convention, l’investissement direct étranger ne prend en compte que les prises de participation supérieures à 10% du capital.
De ce fait, ces dernières années, d’énormes opérations n’ont pas été comptabilisées. Par exemple, l’achat en 2018 par le chinois Geely de 9,7% du capital de l’allemand Daimler et cela pour la coquette somme de 9 milliards de dollars. Ou encore l’acquisition par Jin Jiang, mais en plusieurs étapes, de 15% du groupe français Accor hôtels.
Les Chinois très impliqués dans les opérations de taille moyenne
Pour l’instant, les entreprises chinoises principalement dans le commerce de gros, la logistique et les services financiers. Mais ils sont également présents dans la production de biens électroniques, l’hôtellerie ou encore la gestion d’actifs.
Il y a certes des opérations spectaculaires comme le rachat – déjà ancien – du constructeur automobile suédois Volvo, celui du fabriquant de pneumatiques italien Pirelli, la prise de contrôle du Port grec du Pirée, celle de l’Allemand Biotest dans la pharmacie ou encore du fabricant français de carte à puce Linxens.
Mais, avant tout, les petites et moyennes opérations dominent, comme si les entreprises chinoises cherchaient à se familiariser peu à peu avec le marché européen. A l’évidence, les grandes offensives sont à venir et l’on comprend le souci des Européens de s’y préparer…