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L’élitisme administratif français n’a pas d’équivalent en Europe

mercredi, 1 mai, 2019 - 16:59

Plus que celle de l’ENA, la fin des grands corps de l’Etat annoncée par le président Macron serait une révolution. Car cette organisation administrative héritée de l’ancien régime est à l’origine d’une omnipotence des hauts fonctionnaires inconnue ailleurs en Europe.

Face au rejet du parisianisme et à la dénonciation de l’arrogance et de l’entre-soi des hauts fonctionnaires, Emmanuel Macron a choisi de frapper fort en annonçant, il y a une semaine, la suppression de l’Ecole Nationale d’Administration (ENA) et la fin des grands corps de l’Etat.

Une vraie révolution administrative qui ne s’en prend pas seulement à l’ « école de l’élite » créée il y a 75 ans mais remet en cause les fondements d’une organisation de l’Etat remontant parfois jusqu’à l’Ancien régime.

L’élitisme relatif de l’ENA

La suppression de l’ENA n’est pas, en elle même, de nature à « démocratiser » l’accès à la haute fonction publique française.

Certes, moins de 20% des élèves de l’Ecole sont issus des classes populaires, ce qui peut en partie s’expliquer par le fait que le concours d’entrée est hyper-sélectif (environ 1500 candidats pour une centaine de places) et exige, outre un premier diplôme universitaire pour le concours externe, une préparation extrêmement poussée passant par des « prépas » coûteuses.

Cela dit, le cursus de deux ans n’est pas seulement gratuit mais il est rémunéré 1.700 euros par mois. Quant à l’enseignement dispensé, il est pratique et vise à développer la réactivité et l’initiative, ce qui paraît contredire l’idée répandue d’un formatage idéologique.

Ce qui est vrai, c’est que l’ENA coûte cher au contribuable : 84.000 € par étudiant et par an et globalement 40 millions annuels.

Les « Grands corps » au coeur du système français

En fait, l’élitisme de la fonction publique française est bien davantage dû au mode d’organisation et de recrutement des hauts fonctionnaires qu’à leur formation.

Depuis la révolution ou l’Empire, voire le début du règne de Louis XV, différents métiers nécessaires à l’administration se sont organisés en « corps » regroupant conseillers, inspecteurs ou ingénieurs formés dans des écoles particulières.

Il y a ainsi des « grands corps » administratifs comme l’Inspection des finances, le conseil d’Etat, la Cour des Comptes dont le vivier est en bonne partie constitué par les diplômés sortis dans les mieux classés de l’ENA.

Il y a aussi les grands corps techniques, les Mines, les Ponts-et-Chaussées, les administrateurs de l’INSEE, formés dans des écoles spécifiques mais également issus pour beaucoup de l’Ecole Polytechnique ou des Ecoles normales supérieures.

Les diplômés de ces grandes écoles accèdent directement, en début de carrière, à des postes de responsabilité ou de grande influence, soit qu’ils dirigent ou assistent les dirigeants (préfets, attachés d’ambassade), soit qu’ils contrôlent (inspection des finances ou de l’administration), soit même qu’ils jugent cette administration dans le cadre du Conseil d’Etat.

De plus, l’appartenance à un même « Corps », crée des solidarités propices à des affectations valorisantes, voire à des « coups de pouce ». C’est bien ce système qui produit de l’élitisme et que Macron veut démanteler.

Le colbertisme ne s’est pas exporté

Il s’agit là d’une totale exception française dans la mesure ou aucun autre pays ne connaît le système centralisé et interventionniste d’un Etat marqué par le colbertiste depuis trois siècles et demi.

Ailleurs en Europe, la notion d’élite administrative n’a pas cours car les hauts fonctionnaires sont issus de formations diversifiées et sont désignés en fonction de leur habilité à remplir une fonction précise.

Conséquence, ils ne se « serrent pas les coudes » car ils ne sont pas interchangeables. Et n’ont donc pas le sentiment d’appartenir à une même élite. Pour autant, plusieurs pays ont des Ecoles d’administration du type ENA.

Des « ENA » en Espagne et en Italie

En Espagne, il y a l’Institut national de l’administration publique (INAP) qui est chargé de la formation initiale ou permanente des fonctionnaires et organise des concours pour intégrer telle ou telle administration.

Donc, pas de concours d’entrée à l’Ecole, comme à l’ENA, mais une préparation en vue de concours administratifs.

Le système est un peu différent en Italie où il faut d’abord réussir son concours administratif avant d’intégrer l’Ecole supérieure d’administration publique (SSAP). La formation y est donc spécialisée.

Quant à l’Allemagne, son académie fédérale d’administration publique est réservée aux fonctionnaires déjà en poste pour leur permettre d’accéder à de plus hautes responsabilités. La Belgique dispose d’un institut équivalent.

En aucun cas, ces instituts n’ont vocation, comme l’Ena ou Polytechnique, à former une « aristocratie » de dirigeants a priori aptes à occuper tous les grands postes à responsabilité. Les formations y sont beaucoup plus ciblées.

Recrutement par poste au Royaume-Uni et Pays-Bas

Le recrutement des hauts fonctionnaires, à l’instar des cadres d’entreprises, se fait aux Pays-Bas par poste en fonction des compétences mais les candidats peuvent éventuellement postuler et se former dans le cadre d’un « service général d’administration ».

Le Royaume-Uni recrute également par poste sous le contrôle de commissaires à la fonction publique indépendants qui veillent à l’équité et à la transparence de la nomination. Pas d’école d’administration outre-Manche, mais l’on constate néanmoins que la moitié des très hauts fonctionnaires est issue des universités d’Oxford ou de Cambridge.

Une pointe d’élitisme outre-Manche donc que l’on ne retrouve pas en Allemagne puisque les recrutements de hauts fonctionnaires se font par ministère via des examens sélectifs de candidats issus de l’Université.

Bien sûr, comme dans plusieurs pays, des masters en administration publique sont apparus outre-Rhin à l’université tandis que des instituts privés proposent un enseignement en politiques publiques.

Longs cursus, moindre mobilité, pas d’esprit de corps

Contrairement aux Français, les plus hauts fonctionnaires européens doivent suivre de longs cursus hiérarchiques. Ils sont aussi moins mobiles et moins interchangeables car leurs compétences sont différenciées et ils ne connaissent pas cet « esprit de corps » propice à une collusion entre gouvernement et grandes entreprises.

Enfin, auréolés du prestige de leurs grandes écoles, de l’autorité qu’elle leur confère et de la solidarité qu’elle engendre, seuls les hauts fonctionnaires français parviennent souvent à imposer leurs vues aux hommes politiques élus démocratiquement. C’est sans doute là le problème majeur du système.


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