Face aux manifestations qui dérapent, les forces de police françaises ont paru débordées ces derniers mois. A la lumière de ce qui se passe chez nos voisins européens, ce n’est pas une question de moyens mais de stratégie inadaptée. Reste que l’organisation idéale contre la volonté d'en découdre n’existe pas.
Même si, de l’avis général, elles ont été mieux encadrées par la police, les dernières manifestations du 1er mai en France ont encore fait 24 blessés chez les manifestants, 14 parmi les forces de l’ordre et ont donné lieu à 380 interpellations.
Depuis le début du mouvement des « gilets jaunes », le 17 novembre dernier, on évalue à 2200 le nombre de blessés chez les manifestants et 1500 chez les policiers. Un très lourd bilan qui, s’ajoutant aux considérables dégâts matériels, pose avec acuité la question des moyens et de la stratégie des forces de maintien de l’ordre en France.
La France, championne de la casse urbaine
Il est indéniable que le nombre et l’intensité des manifestations violentes font de la France une exception en Europe depuis l’apparition des manifestations de « gilets jaunes » il y a cinq mois.
Dans aucun pays on a assisté à une telle répétition des protestations même si l’on peut évoquer les démonstrations régulières des anti-islamistes de Pegida en Allemagne. Mais l’ampleur de la mobilisation n’est pas du tout la même.
Cela dit, un peu partout en Europe, on assiste à des défilés qui donnent lieu à des affrontements physiques entre « casseurs » et policiers. Et il existe des pays réputés assez violents, comme l’Espagne, où l’on compte environ un millier de manifestants blessés chaque année.
Ailleurs, si les victimes sont moins nombreuses, les échauffourées sont fréquentes. Ainsi, le 1er mai dernier, on a vu la police affronter les manifestants à Turin, Berlin, Copenhague et dans la ville suédoise de Göteborg.
Une stratégie inadaptée ?
Jusqu’à très récemment, les forces de police françaises cherchaient à éviter le contact et recherchaient une « mise à distance » des manifestants par des jets de grenades lacrymogènes.
Une stratégie qui, face à des foules infiltrées d’individus décidés à provoquer l’affrontement et à multiplier les dégradations, s’est avérée non seulement inopérante mais peut-être aussi contreproductive en poussant des manifestants paisibles à se solidariser de facto avec des individus agressifs.
Suite aux débordements de cet hiver, les forces de polices appliquent donc désormais une stratégie nouvelle, plus mobile, visant à aller au contact des groupes ou des individus violents pour les neutraliser. On a multiplié également les contrôles préventifs.
Répression ou désescalade
Une adaptation qui s’inspire en partie des modèles étrangers. Les contrôles préventifs, les arrestations ciblées ou le centrage de l’action sur des petits groupes sont très pratiqués en Allemagne.
On peut aussi évoquer la pratique britannique d’ailleurs controversée du « kettling » qui consiste à encercler et à enfermer un groupe de manifestants dans une nasse afin de les neutraliser et d’arrêter certains individus préalablement repérés.
Cela dit, la France demeure résolument dans une optique de répression alors que de nombreux pays – l’Allemagne, la Belgique, les Pays-Bas, la Scandinavie – ont adopté depuis plusieurs décennies des stratégies de « désescalade », privilégiant le dialogue avec les manifestants grâce à des « anti-Konflikt teams » bien repérables outre-Rhin ou aux officiers de dialogue en Suède.
Dans ces pays, on veille également à bien informer les protestataires de l’évolution de la manifestation. En revanche, dans les pays du sud, la doctrine est beaucoup plus axée sur la confrontation et l’intimidation, tout particulièrement en Espagne ou en Grèce.
Des armes plus offensives au sud de l’Europe
En France, l’usage désordonné ou abusif des LBD – lanceurs de balles de défense – a fait ces dernières semaines beaucoup de blessés graves.
Ces armes ne sont utilisées qu’en Espagne et au Portugal ainsi que dans les Balkans tandis que les policiers italiens en réclament l’introduction.
Elles sont en revanche prohibées dans les pays nordiques et en Autriche et utilisées très exceptionnellement en Belgique et de façon rarissime au Royaume-Uni dans le cas de graves débordements.
Quant à l’Allemagne, seule la Bavière autorise les LBD mais plusieurs länder ont introduit l’usage de pistolets à impulsion électrique Tazer.
Les policiers français utilisent également des lanceurs de grenades, à l’instar des Italiens. Dans les pays du nord, on privilégie à l’inverse les canons à eau.
Des forces anti-émeutes très conséquentes en France
La France est particulièrement bien dotée avec 13.000 CRS de la police, près de 13.000 gendarmes mobiles et 5.000 fonctionnaires de la brigade anti-criminalité. En Espagne, on compte moins de 3000 membres des unités d’intervention de la police mais ces unités anti-émeutes sont renforcées considérablement par les groupes de réserve et de sécurité de la Guardia civil ainsi que par des corps de police régionaux dont certains sont particulièrement offensifs, comme les « Mossos » en Catalogne.
Même chose en Italie : plus de 5000 forces mobiles de la police peuvent être épaulés par les « carabinieri » (l’équivalent de nos gendarmes) ainsi que par les polices régionales.
En Allemagne, les forces anti-émeutes de la police qui dépendent à la fois de l’Etat fédéral et des länder sont au nombre de 16.000. Quant aux unités de soutien de la police britannique, elles peuvent mobiliser en 24 heures quelques 10.000 combattants anti-émeutes.
Face aux « casseurs » les différences s’estompent
Finalement, si elle reste un pays considéré comme répressif, la France ne l’est pas tellement plus que ses voisins du sud. Et si les pays du nord de l’Europe paraissent davantage soucieux de prévenir les dérapages violents, leur stratégie atteint ses limites.
Partout, la violence de rue est en hausse et le dialogue est de plus en plus difficile avec des individus déterminés à en découdre dans le but de déstabiliser, grâce à l’explosion des images vidéo, la société et les gouvernements.
Une réalité européenne qui comble peu à peu le fossé entre les différentes approches du maintien de l’ordre.