La mobilisation des électeurs européens a limité à une trentaine les élus supplémentaires des courants nationalistes et eurosceptiques. Les libéraux, qui gagnent 40 élus, pourraient jouer un rôle pivot dans l’équilibre des forces politiques du Parlement. Les Verts aussi.
Le renouvellement du Parlement européen en 2019 était surdéterminé par un enjeu d’importance : la montée des formations populistes déterminées à remettre en cause le fonctionnement et l’organisation de l’Union européenne, voire, pour certaines, son existence même.
A cet égard, du fait d’une mobilisation inattendue des électeurs, le résultat du scrutin est de nature à rassurer ceux qui craignaient le pire pour l’avenir de l’Union. Mais si le grand bouleversement anticipé ne s’est pas produit, ces élections ont apporté un certain nombre de surprises.
Une vaguelette populiste
Parmi les principaux enseignements de ce scrutin 2019, il y a tout d’abord, la mobilisation des électeurs. Les 51% de taux de participation pour l’ensemble de l’Union européenne contre 42% en 2014 constituent le meilleur résultat depuis 25 ans.
On a souligné le sursaut de 8 points en France – à plus de 50% – mais la participation a augmenté encore plus en Allemagne et en Autriche – de 13 et 14 points – et la hausse est d’environ 20 points en Espagne, Pologne ou Roumanie.
Cette mobilisation est venue à l’évidence briser la vague populiste que l’on annonçait. Ainsi, la progression des deux groupes essentiellement composés de nationalistes eurosceptiques n’est en rien un « raz-de-marée ».
L’EFDD, l’Europe des libertés et de la démocratie directe, passe ainsi de 42 à 54 eurodéputés, grâce notamment au parti anti-Brexit britannique. Donc, si le Brexit devient effectif, ce groupe devrait finalement diminuer d’une quinzaine de députés.
Quant à l’ENL, l’Europe des Nations et des Libertés, l’ENL, où siège notamment le Rassemblement National de Marine Le Pen, elle connaît certes une progression plus forte (de 36 à 58 élus), mais l’on s’aperçoit que c’est essentiellement dû à l’arrivée de 23 nouveaux élus de La Ligue du ministre italien de l’intérieur Matteo Salvini. A l’heure actuelle, ces deux groupes progressent ensemble de 34 députés. En cas de Brexit, leur progression serait ramenée à cinq…
Quant à la troisième formation, l’Europe des conservateurs et des réformistes (ECR), elle est caractérisée par un souverainisme et un euroscepticisme beaucoup plus tempérés. Elle inclut par exemple les conservateurs britanniques et leur l’effondrement lui fait perdre 15 eurodéputés.
Bref, à part les 34% de Salvini en Italie et la progression de Droit et Justice en Pologne, les formations populistes ont en général stagné à un niveau élevé, comme en France ou en Hongrie, ou même reculé comme au Danemark, aux Pays-Bas et en Autriche.
La mobilisation profite aux libéraux et aux Verts…
La mobilisation des électeurs a profité aux forces pro-européennes. D’abord à l’Alliance des Démocrates et des libéraux (ADLE) qui, en partie avec l’apport nouveau de 21 députés « macroniens », fait un bond de 38 élus en passant à 107.
Et puis le groupe des Verts progresse de 52 à 69 députés grâce à ses bons scores en France (+ 6 élus) et surtout en Allemagne (+9), mais aussi au Royaume-Uni (+ 4), en Belgique, en Finlande.
… et modifie l’équilibre du Parlement
Les conservateurs du PPE (177 élus) et les sociaux-démocrates de S&D (149 élus) ont perdu leur « majorité absolue », passant à eux deux de 401 à 326 élus. Donc, comme l’espérait en France Emmanuel Macron, le groupe central des libéraux de l’ADLE est désormais en mesure de jouer un rôle pivot avec ses 107 élus en s’efforçant de rallier sur ses propositions PPE et S&D. Sur d’autres dossiers, le groupe des Verts pourrait également jouer ce rôle.
Ce nouvel équilibre devrait aussi avoir des conséquences sur la désignation du président de la Commission en avantageant sa tête de liste, la danoise Margrethe Vestager, au détriment des deux autres candidats officiels, le président du PPE, l’Allemand Manfred Weber et le néerlandais Frans Timmermans, leader du S&D, puisque ces deux groupes sont affaiblis d’une quarantaine de députés chacun.
Eventuellement, cela pourrait jouer aussi en faveur d’un candidat de compromis, comme le Français Michel Barnier, issu des rangs du PPE mais qui ne se représentait pas en 2019.
Outre qu’il s’est acquis une solide réputation d’ « acharné-pragmatique » en conduisant les négociations du Brexit, il a l’avantage appréciable d’être « Macron-compatible »…
L’avenir de la droite française et de la coalition allemande en question
Ces élections ont par ailleurs réservé des surprises dans plusieurs Etats-membres. Sans s’étendre sur la situation française, largement commentée, rappelons bien sûr l’excellente performance des Verts emmenés par Yannick Jadot, la descente aux enfers de la droite traditionnelle et le rééquilibrage inattendu – mais à un faible niveau – au sein de la gauche française.
Cette performance des écologiste français est toutefois éclipsée par le bond en avant des Verts allemands qui, à 20%, doublent leur score de 2014 et deviennent la deuxième force politique d’Allemagne derrière des Chrétiens démocrates affaiblis et devant des sociaux démocrates en sévère repli. Du coup, l’avenir de la Grande coalition outre-Rhin paraît hypothéquée.
Quant aux eurosceptiques de l’AFD, leur réussite, à 11% des suffrages, reste relative.
En Belgique, notons que l’extrême droite du Vlams Belang double son score à 11%, s’approchant désormais des nationalistes flamands de la N-VA, en recul.
La gauche en Espagne, l’extrême-droite en Italie
En Espagne, on ne prévoyait pas à une victoire aussi nette des socialistes – 33% des voix – et l’émergence des populistes de Vox est restée – à 6% – très discrète.
En Italie, la victoire de La Ligue de Matteo Salvini est plus large – 34% – que ne l’anticipaient les derniers sondages. Surtout, c’est la déconfiture pour son partenaire gouvernemental du Mouvement Cinq étoiles qui, à 17%, divise son score par deux par rapport aux législatives de 2018. L’actuelle coalition, déjà fragile entre les deux formations, s’en trouve remise en cause.
Quant au centre-gauche de Matteo Renzi, il atteint 23%, ce qu’il n’espérait pas.
Le Triomphe en trompe-l’œil des Brexiter
Au Royaume-Uni enfin, le parti du Brexit de Nigel Farage paraît triompher avec ses 32%, mais il pouvait en espérer 36%. La vraie surprise provient des pro-européens Libéraux-Démocrates qui passent, à 18,5%, devant les travaillistes revenus à 14%.
Mais c’est avec les Conservateurs au pouvoir que l’on peut parler de catastrophe historique : à 8,7%, ils divisent par cinq leur nombre d’élus !
Et puis, pour la suite du Brexit, ces élections ne lèvent pas l’incertitude. Car les 35% de partisans d’un « hard Brexit » (Farage et les 3% du parti UKIP) ont devant eux, avec les Verts (11%), plus de 50% de partisans du maintien dans l’Europe pour peu qu’une simple moitié (soit 12%…) de ce qui reste des électeurs conservateurs et travaillistes soient des défenseurs du « Remain ». Ce qui semble un minimum…