Face aux enjeux liés au réchauffement climatique et à la nécessité d’émettre moins de gaz à effet de serre, les Français rappellent régulièrement aux pouvoirs publics leurs exigences en matière environnementale. Dans ce contexte, la transition énergétique constitue l’un des plus gros chantiers à mettre en branle. La place du nucléaire dans le mix électrique français est à juste titre débattue et toute une frange de la population assure qu’il faut en sortir. Une position qui n’est pas partagée par la majorité des Français, mais qu’il convient d’étudier à l’aune de changements radicaux au niveau planétaire.
Dans un sondage auprès de ses internautes, Le Figaro a demandé le 26 juillet 2019 si la France devait sortir du nucléaire. 76 % des 70 524 votants ont répondu « non ». Ce sondage vient conforter les données recueillies par la société d’études et de conseil BVA le mois précédent. Cette dernière a travaillé en collaboration avec Orano afin d’avoir une idée plus précise sur la manière dont les Français conçoivent l’énergie nucléaire. Un travail d’autant plus intéressant que les réponses sont parfois contradictoires ou en décalage avec la réalité.
Réalisée auprès de 3 008 citoyens âgés de plus de 18 ans, l’enquête d’opinion de BVA montre que 47 % des sondés jugent que le nucléaire est un atout pour la France, source d’indépendance énergétique et créatrice d’emplois. Un résultat moins franc que le sondage du Figaro et qui est d’autant plus curieux que 69 % des Français interrogés estiment que le nucléaire est une source d’énergie qui contribue aux émissions de gaz à effet de serre. Mais pour Edouard Lecerf, directeur adjoint de BVA, cette réponse provient surtout d’un « effet de halo qui fait qu’aujourd’hui, on a l’impression que tout dérègle le climat, y compris le nucléaire ».
Une énergie qui garde de sérieux atouts
Si le sondage du Figaro voit les trois quarts des répondants favorables au nucléaire, il est utile de faire le tour des raisons qui pourraient expliquer un tel plébiscite. La première raison se trouve peut-être du côté de la lutte contre le dérèglement climatique. Car si le nucléaire a mauvaise presse chez la plupart des militants écologistes, les études scientifiques sont sur une toute autre ligne. Dans son rapport d’octobre 2018, le GIEC assure que l’énergie nucléaire est appelée à se développer fortement au niveau international afin d’espérer contenir la hausse moyenne des températures à 2°C. « Si la tendance actuelle se poursuit, le respect des objectifs climatiques nécessitera de multiplier par six les capacités nucléaires mondiales » précise le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat. Un raisonnement également partagé par l’Agence internationale de l’énergie.
Ce décalage entre la croyance en certaines idées reçues d’une part et les données et recommandations scientifiques d’autre part est dommageable à l’heure où les citoyens s’emparent des thèmes environnementaux. Il suffit d’avoir quelques chiffres en tête pour alimenter une réflexion amenée à évoluer au gré des techniques et de leur impact environnemental. Ainsi, sur l’ensemble du cycle, le nucléaire émet environ 12 grammes de dioxyde de carbone par kilowattheure d’électricité produit quand le solaire, le gaz et le charbon en génèrent respectivement 45 grammes, 400 grammes et 1 000 grammes. Seule l’énergie éolienne fait juste un peu mieux que le nucléaire avec 11 grammes.
L’énergie nucléaire est donc très peu carbonée, mais cela ne se sait pas forcément. Il faut donc trouver d’autres raisons qui expliquent l’engouement des Français pour l’atome. Le prix de l’électricité pourrait bien constituer une partie importante de la réponse, car si les hausses décidées par la Commission de régulation de l’énergie (CRE) sont aussi impopulaires que médiatiques, le prix de l’électricité en France reste très concurrentiel. Le prix du kilowattheure est environ 40 % moins cher que chez nos voisins. Avec un kilowattheure moyen à 30,48 centimes d’euros, l’Allemagne fait deux fois moins bien que la France. Cet exemple est pertinent dans la mesure où les deux économies sont comparables et que l’Allemagne a renoncé au nucléaire dans la foulée de Fukushima. Une trajectoire abrupte qui a montré que le développement des énergies renouvelables peut se faire plus rapidement, mais qu’une sortie hâtive du nucléaire oblige aussi à recourir massivement au très polluant charbon.
Une image du nucléaire phagocytée
Se mettre dans les pas de l’Allemagne est-il vraiment recommandable quand on sait que la part du nucléaire en France reste déterminante ? Cela serait d’autant plus dommageable que les réacteurs français s’illustrent comme de véritables compléments dans le développement des EnR. Les énergies vertes souffrent encore trop de leur intermittence et de la difficulté à stocker l’énergie tandis que les réacteurs nucléaires peuvent moduler amplement leur production d’électricité en l’espace de quelques dizaines de minutes. Ainsi, fermer des centrales pour les remplacer par des éoliennes ne changera que de manière très marginale le bilan carbone de la France. Les vrais enjeux sont ailleurs et ce sont bien les centrales à charbon et à gaz qui doivent rapidement laisser place aux EnR.
Fort de ce constat, on peut s’interroger sur les raisons qui voient le nucléaire souffrir d’une image parfois négative. Plusieurs facteurs entrent en jeu à commencer par toute la presse (plus ou moins fondée scientifiquement) entourant les accidents de Tchernobyl et de Fukushima. Et pour ne rien arranger, les autorités japonaises songeraient à procéder à un « rejet contrôlé » d’eaux contaminées dans l’océan Pacifique. Il s’agit là d’une faute environnementale et morale qui met dans le même sac tous les producteurs d’énergie nucléaire avec l’étiquette « le nucléaire pollue ». De plus, les enjeux liés à la gestion des déchets nucléaires restent une préoccupation pour une majorité de Français. En ce sens, le débat public sur le Plan national de gestion des matières et déchets radioactifs (PNGMDR), qui se tient jusqu’au 25 septembre, a été mis en place pour échanger et apporter des réponses concrètes sur l’avenir des combustibles usés. « Il y a une vraie demande d’information et de transparence, sur un sujet qui est particulièrement complexe. Ce débat a donc pour principale mission, de contribuer à l’effort de clarification, afin d’accroître la compréhension de ces sujets au sein de la population » précise Isabelle Harel-Dutirou, la présidente de la Commission particulière en charge du débat public. Car pour elle « Les citoyens ont conscience que la France a aujourd’hui besoin de son industrie nucléaire, mais ils s’interrogent sur son avenir. «
Par ailleurs, le fait que le nucléaire soit une énergie utilisée depuis les années 1960 en France lui donne une image parfois vieillotte dans une société en pleine mutation qui a le culte de la nouveauté. Enfin, les retards cumulés de l’EPR en France contribuent à alimenter les discours faisant du nucléaire une énergie d’hier plutôt que de demain. C’est toutefois oublier un peu vite que l’EPR d’EDF fonctionne déjà en Chine et que le nombre de centrales au niveau mondial est appelé à progresser au cours des prochaines années.