Quel Français pour le portefeuille du marché intérieur à la Commission Européenne ?

Après le refus de la nomination de Sylvie Goulard par le Parlement européen, Emmanuel Macron propose la candidature de Thierry Breton au poste de commissaire européen au Marché intérieur, à l’Industrie, à la Défense, à l’Espace et au Numérique. Une candidature qui pose problème.
En mettant fin au système du « Spitzenkandidat« , qui faisait de la tête de liste du parti ayant obtenu le plus de voix aux élections européennes (le PPE) le candidat naturel pour présider la Commission, le Président Macron n’a pas fait que des heureux.
Est-ce pour cette raison que Sylvie Goulard, après avoir été auditionnée deux fois par les parlementaires, a été recalée par le Parlement ? Pour certains, il s’agirait d’une vengeance du plus grand parti européen, dont les membres auraient peu gouté que leur président Manfred Weber soit écarté par Macron comme Président de la Commission. Avec un groupe parlementaire affilié à Renew Europe, fort de 109 membres, la 3ème force politique du Parlement ne pouvait redresser l’issue du vote.
Le Parlement exerce cette année son pouvoir sur la confirmation du collège des commissaires avec allant. L’organe de représentation des citoyens européens manifeste son importance croissante à chaque législature. Ainsi, si le rejet de la candidature de la Française Sylvie Goulard a été assimilé à un règlement de compte, il apparait tout à fait justifié : entre l’affaire des emplois présumés fictifs du Modem (qui intéresse la justice française tout comme l’organisme de lutte anti-fraude européen), ou sa rémunération (près de 300 000 euros au total) de l’institut Berggruen, think tank américain alors qu’elle était député européen, la neutralité de la candidate apparaissait comme peu crédible.
Ainsi, seuls les candidats roumains, hongrois et français ont été écartés par la Parlement européen.
LREM en manque de ressources
Un temps pressenti comme candidat idéal, Michel Barnier pose problème : le Parti Populaire Européen, son parti, a œuvré au rejet de la candidature Goulard. Par ailleurs, l’ancien commissaire européen avait appelé à voter LR lors des élections européennes, alors que le parti de droite était en pleine déconfiture et que la ligne Bellamy ne collait pas parfaitement avec la posture plus modérée de Michel Barnier.
La dernière proposition, fuitée hier dans le Canard enchaîné ainsi que par les Echos du même jour dans des termes plus dirigés, fait de Thierry Breton, PDG d’Atos, le nouveau candidat idéal. Il serait à la fois disponible, compétent, et coutumier des procédures isolant ses intérêts liés à des groupes français. Pourtant, il ne semble pas que l’homme d’affaire français soit exempt de soupçon en matière de conflits d’intérêts (Rhodia, Orange, affaire des radars).
Thierry Breton a vendu 92 000 actions Atos au prix total de 10 millions d’euros le 27 avril 2018, conservant près de 445 000 actions du groupe. Certes, le cours de l’action a été divisé par deux depuis, notamment avec la cotation de Worldline à la Bourse de Paris, société dans laquelle Mr Breton est directeur délégué.
Mais les intérêts de Mr Breton dans Atos – voire dans Worldline également – sont majeurs. Avec une présence dans quasiment tous les Etats membres de l’UE, les activités d’Atos, comme de Worldline d’ailleurs, sont intrinsèquement liées au marché intérieur européen. Soit le portefeuille qui lui serait attribué à la Commission européenne…
Le groupe est par ailleurs très investi avec certains géants de l’industrie du tabac, notamment Philip Morris, dont il a mis en œuvre la solution de traçabilité Codentify depuis de nombreuses années, en violation d’engagements internationaux de l’Union Européenne envers l’Organisation Mondiale de la Santé.
Enfin, avec des intérêts dans Bank of America Corporation ou Carrefour, les conflits d’intérêts apparaissent autrement plus importants pour ce candidat que pour Mme Goulard. Autant de raisons qui font douter d’un possible aval du Parlement Européen pour l’homme d’affaires français.
La sélection du bon candidat se révèle donc plus compliquée que prévu. Certains commissaires actuels avouent avoir renouvelé le bail de leur appartement jusqu’en 2019 pour pallier le manque d’exécutif européen. A ce rythme, certaines mauvaises langues se demandent ce qui du Brexit ou de la nouvelle Commission européenne sera réglé en premier…
Si les errements démocratiques outre-Manche sont une justification, somme toute légitime, à l’imbroglio du Brexit, le pouvoir discrétionnaire du Président français lui permet-il des choix aussi problématiques pour la formation de la nouvelle Commission d’une Union qu’il souhaite renouveler ?