Condamné par la Cour Européenne des Droits de l’Homme, l’Hexagone ne parvient toujours pas à améliorer le sort de ses prisonniers. Plusieurs pays, notamment au sud, ont pourtant bien progressé à cet égard tandis que l’Europe du nord reste un modèle.
32 recours déposés entre 2015 et 2018 ont abouti, le 30 janvier dernier, à la condamnation de la France par la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) pour les mauvaises conditions de détention dans ses prisons.
Cette question carcérale et la surpopulation chronique des établissements pénitentiaires de l’Hexagone ont déjà valu à la France plusieurs condamnations visant des établissements spécifiques.
Depuis deux décennies, les différents gouvernements ont pourtant annoncé des plans d’amélioration des prisons sans que la situation n’évolue réellement. Pourquoi ce manque de résultats ?
Le nombre de prisonniers ne cesse de progresser en France…
On ne peut pas dire que rien n’a été fait en France. Depuis 1990, le nombre de places de prison a augmenté de 60%, le nombre de prisonniers sous surveillance électronique est passé en 10 ans de 1000 à 10.000 et de nombreuses peines courtes ont été aménagées…
Mais, depuis 20 ans, le nombre de prisonniers écroués s’est accru de 20.000. Résultat, le taux d‘occupation qui était de 104% en 2000 – soit 4% de population carcérale en excès des places disponibles – a atteint 108 en 2010 et près de 116 début 2020.
Depuis trois ans, les places disponibles ont bien augmenté de 2400 mais il y a 2200 détenus en plus… Malgré les engagements du gouvernement pris en 2017 de créer 7000 places supplémentaires d’ici à 2022, il apparait que seulement 1500 à 2000 places seront en place à cette date…
… faisant du pays le vice-champion de la surpopulation
Selon les chiffres du Conseil de l’Europe pour 2018, seuls cinq pays sont en surpopulation et la France n’est dépassée à cet égard que par la Roumanie tandis que l’Italie, le Portugal et la République tchèque souffrent d’une moindre surpopulation carcérale. Au sein de ce groupe, le Portugal a fait un gros effort depuis deux ans, passant d’un taux de surpopulation de 137 à 106.
Quant à l’Espagne, avec un taux de 72, elle fait désormais beaucoup mieux que d’autres Etats en « sous-population carcérale » comme la Suède (93) et même l’Allemagne (87). C’est le résultat de la réforme du code pénal qui, en multipliant les peines de substitution, a diminué le nombre des incarcérés espagnols. Et le gouvernement de Pedro Sanchez entend aller plus loin.
Des pays plus ou moins répressifs
Depuis longtemps, l’Espagne était pourtant considérée comme un pays répressif. Mais son taux d’incarcération – c’est à dire le nombre de prisonniers pour 100.000 habitants – est revenu de 138 en 2015 à 127 en 2018.
C’est désormais nettement moins que l’Angleterre (142) mais c’est encore beaucoup plus qu’en Allemagne (77) et surtout qu’en Suède (56). Quant à la France, son taux diminue mais reste supérieur à 103.
Cette baisse assez générale du taux d’incarcération reflète la multiplication des peines alternatives et, en Scandinavie, de ce que l’on appelle la détention “ouverte”, ces peines qui s’effectuent sur des lieux de travail non gardés. Un système particulièrement développé au Danemark qui produit pourtant des résultats en demi-teinte.
Le revers de la médaille des « prisons ouvertes »
Certes, la “détention ouverte” favorise la réinsertion. Mais elle facilite aussi les évasions. Ainsi, le taux d’évasion pour 10.000 prisonniers est-il très élevé en Scandinavie où il approche ou dépasse les 200 contre 88 en France, 61 en Allemagne et encore beaucoup moins en Italie ou Espagne.
De surcroit, l’évasion est un facteur de récidive: le taux de récidive – c’est à dire la proportion de nouvelles condamnations trois ans après la sortie de prison – dépasse les 60% en Suède et au Danemark, contre 46/48 en France, en Allemagne et en Angleterre et seulement 30% en Italie ou en Espagne.
Le taux de suicides en prison très élevé en France
Le taux de suicide pour 10.000 détenus fourni par le conseil de l’Europe peut constituer une mesure de l’état moral et psychologique des prisonniers.
Dans ce domaine, la France est le pire pays d’Europe avec un taux proche de 13 pour 10.000 contre moins de 12 en Allemagne et au Portugal et environ 8 en Angleterre et Italie.
Paradoxalement, l’Espagne est le pays où les prisonniers se suicident le moins (4) alors que la durée moyenne d’emprisonnement y est élevée – 22 mois.
C’est moins que les 32 mois observés au Portugal mais beaucoup plus que les 7 à 9 mois constatés en Allemagne, en Angleterre, en Suède mais également en France.
Les errements de la politique carcérale
Comment expliquer les piètres résultats de la politique pénitentiaire française depuis vingt ans ? Par une succession de mesures contradictoires mettant en question l’efficacité des politiques publiques dans ce domaine.
Un seul exemple: Nicole Belloubet, ministre de la justice, veut multiplier les peines de substitution mais, dans le même temps, la pénalisation de nombreux délits, le développement des comparutions immédiates et la hausse du nombre de détentions provisoires remplissent ces prisons que l’on souhaite pourtant décongestionner !
Reste enfin le nerf de la guerre: l’argent. Avec 108 euros par jour et par détenu, les dépenses carcérales françaises restent inférieures aux dépenses engagées en Allemagne et en Italie (132 €), au Danemark (202 €), aux Pays-Bas (244 €) et, par dessus tout, en Suède, où ces dépenses atteignent 380 € ! Près de quatre fois plus qu’en France…