Le commerce illicite des produits du tabac entraine une importante perte de recettes fiscales pour les Etats et un grave problème de santé publique. Selon un nombre croissant d’experts, le système européen de traçabilité ne serait pas conforme au droit international, et notamment au Protocole pour éliminer le commerce illicite des produits du tabac de l’OMS. La Directive mise en place par l’Union européenne devra être révisée en 2021.
Depuis la réouverture des frontières au sein de l’Union européenne, la contrebande de tabac est repartie à la hausse. Cette contrebande serait en partie alimentée, directement ou indirectement, par les cigarettiers, si l’on en croit de nombreuses études – tel que le « Livre Noir du Lobby du Tabac en Europe – le commerce parallèle de tabac » du député européen Younous Omarjee, ainsi que les ONGs de santé publique (European network for Smoking Prevention, European Cancer League, Smoke Free Partnership etc.) et les experts de l’unité de contrôle du tabac de l’Université de Bath.
Adopté en 2012, entré en vigueur le 25 septembre 2018 et désormais ratifié par 59 Parties, le Protocole de l’OMS pour éliminer le commerce illicite des produits du tabac est un outil juridique et technique qui permettra aux Etats de mettre fin au commerce parallèle de tabac, et ce dès 2023 dans l’UE. La méthode ? Instaurer un système de traçabilité des produits du tabac strictement indépendant de l’industrie.
Un système européen qui pose problème
Pour l’OMS et l’article 8 de son Protocole, le système doit être contrôlé par l’Etat (8-2), ne peut être délégué à l’industrie du tabac (8-12) qui doit payer ce système (8-14), et les relations de l’industrie du tabac et de ses partenaires avec les autorités publiques doivent être limitées au strict nécessaire (8-13). Or, de nombreuses associations de santé rappellent régulièrement que le système de traçabilité des produits du tabac mis en place par l’Union européenne ne serait pas conforme au Protocole de l’OMS compte tenu des nombreuses concessions faites aux multinationales du tabac et à ses partenaires.
En 2014, l’UE adoptait la Directive tabac qui définissait les grandes lignes d’un système de traçabilité, juste avant qu’elle ne ratifie, en juin 2016, le Protocole de l’OMS. C’est pourquoi le système européen de traçabilité doit être corrigé dans le cadre de la révision de la Directive Tabac que l’UE va conduire en 2021. Un Groupe de travail parlementaire, lancé par le député européen PPE Cristian Busoï et présidé par la députée européenne Michèle Rivasi, travaille actuellement sur cette révision au sein du Parlement européen de Bruxelles.
D’autant plus que les industriels du tabac semblent toujours très actifs au sein de l’UE. Ainsi, d’après une enquête de l’OCCRP, une des majors du tabac (Philip Morris International) aurait corrompu des fonctionnaires de la Douane italienne, fonctionnaires qui auraient déclaré que le système de traçabilité serait plus facile à manipuler que les prix du tabac en Italie. Bruxelles s’inquiète de ce type de révélations et des parlementaires commencent à demander publiquement des comptes et la saisine de la Médiatrice européenne. La prestigieuse organisation Transparency international s’est également émue de ces révélations relatives au système de traçabilité, en qualifiant l’Union Européenne de cible de haute valeur pour les multinationales cherchant à instrumentaliser les réglementations européennes. De plus, l’organisme Corporate Europe Observatory vient de publier un rapport montrant que les multinationales du tabac continuent d’avoir entrée libre au Berlaymont, siège de la Commission, ce qui remet en question les règles de transparence en vigueur.
Un système indépendant de l’industrie pour juguler le commerce parallèle de tabac
Alors que Filip Borkovski, chef d’unité pour le tabac à la Direction de la Santé et responsable depuis 6 ans du système de traçabilité du tabac, tenterait, toujours selon l’enquête d’OCCRP, d’imposer le système européen, l’industrie du tabac et ses partenaires feraient aussi tout leur possible pour que le système européen soit adopté partout à travers le monde, notamment en Afrique.
Techniquement, le système de traçabilité des produits du tabac repose sur la mise en place d’un code unique sur chaque contenant, l’apposition et la vérification de la bonne apposition du code sur chaque timbre fixé sur les produits, l’enregistrement et la transmission des données relatives aux produits, et la mise à disposition aux autorités publiques des données relatives aux produits. Ces quatre étapes doivent être placées sous l’autorité des Etats et mises en œuvre par un ou des prestataires indépendants des fabricants de tabac et de ses partenaires. Aujourd’hui, dans l’Union européenne, seule la première étape est « indépendante », ce qui explique les mauvaises notes obtenues dans l’édition 2019 de Tobacco Control Scale.
Le respect du droit par tous, à commencer par la Commission européenne, doit redevenir la norme. Enfin, les enjeux de santé publique et les intérêts financiers des États (et donc des contribuables de l’Union européenne) doivent être au coeur de la révision de la Directive tabac prévue pour 2021.