Par Daniel Vigneron
Dans la foulée de l’émotion suscitée par le livre de Camille Kouchner, le gouvernement français se prépare à adapter sa législation pour mieux combattre le fléau de l’inceste. Dans les pays voisins, où existe souvent une pénalisation spécifique, la notion de présomption de non-consentement est déjà en vigueur.
La France est toujours sous le coup de l’émotion suscitée par la publication du livre « la familia grande » de Camille Kouchner relatant l’inceste dont a été victime son frère.
Le débat se focalise notamment sur l’absence de répression spécifique concernant ce crime en droit français. Le Sénat vient de voter une proposition de loi renforçant la pénalisation systématique de l’abus sexuel sur mineur mais le ministre de la justice entend lancer des consultations avant que le gouvernement ne légifère.
L’intérêt du texte voté par le Sénat est qu’il pour la première fois apparaître en droit français la notion de « présomption de non-consentement » pour un mineur.
Il pénalise en effet tout rapport sexuel avec un mineur de 13 ans sans que soit posée la question de la recherche du consentement de l’enfant puisqu’il est supposé ne pas exister.
Mais l’initiative du Sénat ne traite pas certains points – la prescription de l’inceste, par exemple – jugés importants par les victimes. En outre, l’inceste ne constitue toujours pas un crime explicite dans notre législation.
Dans plusieurs pays, un délit d’inceste…
Plusieurs pays pénalisent l’inceste en soi en l’érigeant en délit même s’il se produit entre adultes consentants.
C’est le cas de l’Angleterre, de l’Allemagne, du Danemark, de la Suisse et même de l’Italie pour peu qu’il provoque un « scandale public ».
En revanche, l’inceste entre majeurs consentants n’est pas un délit en France, pas plus qu’au Bénélux, en Espagne ou au Portugal.
Dans ces pays, concernant les mineurs, l’inceste n’est traité que comme circonstance aggravante de l’abus sexuel sur mineur.
… et une présomption de non-consentement, sauf en France
La « présomption de non-consentement » revient à considérer que le mineur abusé n’a en aucun cas pu consentir à l’acte sexuel même si le prédateur ou même la victime l’affirment. Le mineur n’a donc pas à démontrer qu’il n’était pas d’accord.
Dans les pays précédemment cités, l’âge de la majorité sexuelle est l’âge en dessous duquel le mineur est réputé « non-consentant ». Cet âge est souvent de 14 ans mais il atteint désormais 16 ans au Royaume-Uni, en Allemagne, en Espagne, en Belgique ou aux Pays-Bas et même 18 ans à Malte.
La situation est très différente en France puisque, même si la majorité sexuelle y est fixée à 15 ans (comme au Danemark ou en Suède), le mineur peut être considéré comme consentant s’il est démontré qu’il n’a pas manifesté d’opposition à l’acte.
Pas de présomption de non-consentement donc, mais un système complexe qui laisse aux tribunaux le soin d’apprécier s’il y a eu « abus de vulnérabilité ». Or, dans le cas d’un inceste où la contrainte morale exercée sur l’enfant est énorme, il parait abusif de devoir établir une vulnérabilité qui va de soi…
Allongement des délais de prescription
Le crime de viol sur mineur est imprescriptible en Angleterre, aux Pays-Bas et, depuis peu, en Belgique.
Une option actuellement en débat en France où le délai durant lequel le crime de viol sur mineur n’est pas prescrit a été porté en 2018 à trente ans à partir de la majorité civile de la victime. En clair, une victime peut poursuivre son agresseur jusqu’à l’âge de 48 ans.
Seule l’Allemagne et, très bientôt, l’Espagne font mieux car leur délai de prescription de 20 ans s’applique ou va s’appliquer seulement à compter de l’âge de 30 ans. Ailleurs, le délais est souvent de 15 ans à partir de l’âge de la majorité civile.
Un crime à grande échelle
Sur la question de savoir si des pays sont concernés par l’inceste plus que d’autres, il est difficile de répondre, car très peu d’incestes font l’objet de plaintes.
Une enquête Ipsos sur la France a ému l’opinion publique puisqu’elle estime à une sur dix les personnes victime d’inceste dans leur enfance.
Le seul chiffre un peu comparable concerne l’Allemagne où une enquête de l’Université d’Ulm évalue à un enfant sur sept le nombre de victimes d’abus sexuels, qu’il s’agisse ou non d’incestes.
En Angleterre, on estime que 37% des trois millions d’enfants victimes d’abus sexuels relèvent de l’inceste. Bref, l’inceste est un crime à grande échelle…
En conclusion, la situation française est contrastée. Côté positif, la France applique un délai de prescription plutôt long et il est même question de l’allonger à 40 ans.
En revanche, il apparaît choquant que l’Hexagone tarde encore à consacrer le principe du non-consentement pour les mineurs, principe qui, à l’évidence, devrait d’autant plus s’imposer en cas d’inceste.