Protection et culture : la France revendique son modèle forestier multifonctionnel

La publication d’une lettre signée par le ministre de l’agriculture Julien Denormandie et dix de ses homologues de certains pays européens à propos de la politique forestière européenne vient rappeler les spécificités de l’approche française en la matière, qui repose sur la protection et la culture. A l’opposé des approches entièrement fondées sur l’exploitation intensive, ou au contraire, sur la non intervention humaine en forêt.
La politique forestière, responsabilité des Etats-membres
La fuite, fin juin, de la version provisoire de la nouvelle stratégie de l’Union européenne sur la forêt, a permis à la France de préciser sa position sur le sujet. Julien Denormandie, ministre français chargé de l’agriculture et des forêts, en a profité pour rappeler ce qui préside à la gestion forestière en France. Dans une lettre adressée au vice-président de la Commission européenne Frans Timmermans, le ministre français accompagné de plusieurs de ses homologues européens (Autriche, Finlande, Allemagne…) a fait part de son “inquiétude” quant à la stratégie de l’Union européenne. Alors que l’UE s’est engagée à réduire de 55% ses émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030 par rapport à 1990, elle juge “médiocre” l’état de conservation des forêts du continent. Et pour y remédier, la nouvelle stratégie prévoit désormais d’imposer aux Etats des objectifs contraignants de “restauration de la nature”. Quitte à indemniser les propriétaires forestiers qui mettraient sous cloche certaines de leurs surfaces, pour “récompenser leurs efforts”. De quoi susciter l’ire de certains des Etats membres, dont la France, qui rappelle que la politique forestière est bien de la responsabilité des Etats : “La gestion des forêts est de la compétence des États membres. Il est bien normal de s’étonner que la Commission rédige un texte sans concertation” s’étonnait ainsi sur Twitter Julien Denormandie.
Cultiver et entretenir la forêt : l’approche multifonctionnelle française
Mais le débat autour de la stratégie européenne ne se réduit pas à une question de compétences. Pour les signataires de cette lettre, dont la France, la stratégie européenne “ignore cruellement le rôle multifonctionnel des forêts et les réduit à des considérations environnementales, en ne tenant pas compte des aspects socio-économiques”. Une conception multifonctionnelle de la forêt, alliant à la fois protection de la biodiversité et valorisation du potentiel économique de la filière bois-forêt, et que la France a fait sienne depuis plusieurs années. A cet égard, le journal Le Monde révèle que dans une note adressée à la Commission datée du 6 juillet, Paris rappelle que les “enjeux liés à la mobilisation du bois et aux emplois des filières associées sont insuffisamment pris en compte” par la Commission. Un aspect que la France entend particulièrement défendre, dans un contexte de transition environnementale qui a conduit à une prise de conscience des avantages écologiques du bois, notamment pour décarboner le secteur de la construction, particulièrement émetteur de CO2. Du 15 au 17 juillet 2021, Julien Denormandie et Emmanuelle Wargon (ministre du Logement) se sont ainsi exprimés lors du Forum Bois Construction. Pour le ministre de l’Agriculture français, “le bois construction, c’est l’avenir”. Et dans un contexte de hausse de la demande de bois, la ministre du logement a rappelé que “La crédibilité de la filière bois, aux yeux du monde de la construction dans l’hexagone, se joue maintenant, face à cette situation de tensions. Nous avons besoin d’une solidarité maximale de toute la filière”.
Protéger la biodiversité : une priorité française
Dénonçant les amalgames autour de la gestion forestière française, Julien Denormandie a réaffirmé son attachement à la préservation de la biodiversité des forêts, au-delà des raccourcis : “La cultiver durablement ne veut pas dire en faire une gestion intensive. Arrêtons d’opposer culture et protection des forêts”. Dans sa note à la Commission, la France a réaffirmé la nécessité de “préserver la biodiversité et les puits de carbone”. Ce qu’elle fait depuis de nombreuses années, dans le cadre d’une gestion durable des forêts. Un modèle qui permet aujourd’hui à la France d’être le 5e pays à l’échelle du globe, et le premier pays d’Europe qui répertorie le plus grand nombre d’espèces forestières, d’après le deuxième rapport sur l’inventaire national des ressources génétiques forestières. ”. Antoine d’Amécourt, président de Fransylva, fédération représentant les propriétaires forestiers privés de France, rappelle ce travail de protection de la biodiversité mené par les forestiers, souvent mal connu : “ Il est surtout nécessaire de rappeler que la très grande majorité des forestiers respectent un code et des documents de gestion durable, prévus pour assurer la pérennisation de nos massifs. Ce qui est souvent ignoré par les détracteurs, c’est la temporalité de la forêt et le travail, génération après génération, qui permet de maintenir un couvert forestier en croissance et producteur de valeur ajoutée (tant écologique qu’économique et sociale).” L’Office National des Forêts (Onf) agit de son côté pour protéger la biodiversité des forêts publiques. Dans une tribune publiée sur le journal Le Monde en février 2021, le directeur général de l’Onf Bernard Munch rappelait que la réflexion des forestiers pour augmenter la résilience des écosystèmes avait cours depuis plusieurs années : “Face au réchauffement climatique, les équipes de l’ONF, en associant les élus, les organisations non gouvernementales et les usagers de la forêt, recherchent des solutions pour renforcer la capacité de résistance des forêts publiques. L’ONF fait ainsi le choix d’une diversification des essences et des modes de sylviculture. Cette stratégie d’amélioration de la résilience des forêts publiques porte un nom : la forêt mosaïque.” Concrètement, cela consiste à partager la forêt entre futaie régulière, irrégulière, taillis sous futaie, régénération naturelle, zones de plantations et îlots d’avenir. Des zones en libre évolution comprenant des réserves biologiques intégrales et des îlots de sénescence seront associées aux zones productives. “L’objectif est d’avoir une gestion qui sera aussi plus douce pour le paysage forestier” explique Régine Touffait, secrétaire général de la direction Forêts et risques naturels à l’ONF. Une stratégie soutenue dans le cadre du volet bois du plan de Relance, qui consacre 150 millions à la reconstitution des forêts privées, communales comme domaniales.