La tension est à son maximum après la perte du "contrat du siècle". Joe Biden semble lâcher l'Europe pour se concentrer sur l'Asie et la Chine. L'Union européenne (UE) reste divisée sur la Défense commune européenne, qui est perçue comme une préoccupation française.
Coup de théâtre, sinon stupeur, après l’annonce de l’arrêt de l’accord entre l’Australie et la France sur la commande de 12 sous-marins conventionnels, un contrat de 56 milliards d’euros. Dans le plus grand secret, les Etats-Unis et le Royaume-Uni ont volé ce « contrat du siècle » et l’irritation est à son maximum entre Paris et Washington. Un « coup dans le dos », une manoeuvre « à la Trump », une attitude « insupportable », le Quai d’Orsay a rappelé ses ambassadeurs en poste aux Etats-Unis ainsi qu’en Australie. « Les négociations ont duré des mois, et se sont faites dans le dos de l’allié français », souligne Elie Perot, spécialiste des questions de défense européenne à la Vrije Universiteit Brussel (VUB). « La colère des dirigeants français traduit cette surprise et ce sentiment de trahison. »
Avec l’élection de Joe Biden, l’espoir était grand pour la France et les Européens de clôturer la parenthèse Trump. « L’Amérique est de retour » déclarait le nouveau président américain lors de sa première visite officielle en Europe. Les alliés de l’Amérique doivent désormais comprendre que la politique étrangère américaine ne changera pas, et cette débâcle française augure d’un nouveau paradigme : l’Occident n’est plus au centre du monde.
Joe Biden suit une politique internationale lancée en 2011 avec le « pivot asiatique » de Barack Obama, qui privilégie la zone Asie-Pacifique afin de contrer les velléités de la Chine, dont le budget militaire croit dangereusement chaque année. Le désengagement de l’Afghanistan, décidé d’une manière unilatérale par Washington, qui pose des problèmes multiples à l’Europe, en est un symbole. La débâcle de Kaboul a laissé les Européens à la merci des Talibans. Les américains fonctionnent désormais sur le principe du fait accompli.
Un mauvais coup pour l’Europe
La colère est bien sûr immense du côté français, mais l’humiliation est bien européenne. Joe Biden se rapproche naturellement du Royaume-Uni, son éternel allié, qui considère sûrement que l’Australie fait naturellement partie de sa zone d’influence, puisqu’elle fait partie du CommonWealth. Après les années dures de négociations sur le Brexit, Londres obtient sa revanche et la diplomatie européenne est encore plus fragilisée, alors que l’UE était sur le point de dévoiler sa feuille de route stratégique dans la région indopacifique. Tout en ayant un oeil sur ses frontières à l’Est, alors que plus de 200.000 soldats russes sont déployés avec les forces biélorusses pour des manoeuvres de grande ampleur, où l’Europe est directement visée.
Est-ce que ce camouflet français fera avancer l’idée d’une défense commune européenne? Pendant70 ans, l’Europe a bénéficié de la protection de l’Otan. Mais l’Otan est financé à 80% par les Etats-Unis, et de nombreux observateurs, comme Emmanuel Macron, considèrent que la prestigieuse alliance est en situation de « mort cérébrale ». L’UE a annoncé pour l’année prochaine un sommet sur La Défense européenne, qui sera co-présidé par Emmanuel Macron. Mais 2022 est l’année de la campagne présidentielle pour le dirigeant français. S’il n’est pas réélu, le projet deviendra caduc. Et s’il est réélu de justesse, il sera amoindri face à ses partenaires européens.