Partenaire économique de Moscou, le Kazakhstan refuse néanmoins de suivre Vladimir Poutine dans sa folie guerrière et n’a de cesse, depuis le début du conflit en Ukraine, de vouloir marquer sa différence avec la Russie. Une position qui puise ses racines dans la tradition diplomatique du pays ainsi que dans une politique étrangère résolument multilatérale.
« Au cœur d’une Europe libre et démocratique » : les mots, publiés sur son compte Twitter, sont signés Charles Michel. Gilet pare-balles sur le dos, le président du Conseil européen effectuait, ce mercredi 20 avril, une visite hautement symbolique dans la capitale ukrainienne martyrisée. L’occasion, pour l’ancien premier ministre belge, de réitérer le soutien inconditionnel des 27 à Kiyv, alors que les combats redoublent d’intensité dans le Donbass, à l’est du pays. Depuis le début de l’offensive russe, les Européens affichent un front étonnamment uni face à Vladimir Poutine, tout comme l’ensemble du monde occidental, États-Unis en tête ; à l’inverse, les puissances émergentes que sont la Chine ou l’Inde ménagent l’hôte du Kremlin, refusant de condamner l’invasion ou de suivre les capitales occidentales dans leurs mesures de rétorsion. Dans cet affrontement binaire, la position du Kazakhstan marque sa différence en tentant de trouver un point d’équilibre, première étape selon Nur-Sultan pour favoriser un dialogue entre belligérants.
La diplomatie du « En même temps »
Ne condamner définitivement ni Moscou ni Kiev : c’est en effet la position défendue depuis le début du conflit par le Kazakhstan. Au risque de s’adonner à un périlleux numéro d’équilibriste diplomatique, les autorités kazakhstanaises se sont ainsi abstenues lors du vote de la résolution de l’Assemblée générale des Nations unies condamnant l’invasion de l’Ukraine par la Russie, tout en refusant catégoriquement de reconnaître les républiques séparatistes de Donetsk et de Louhansk.
Essayant de maintenir un délicat équilibre géopolitique, le président du Kazakhstan, Kassym-Jomart Tokayev, a appelé les deux parties à la retenue et à choisir la voie de la négociation sur celle de la guerre. Un « ni ni » ou un « en même temps » qui détonne au sein de la communauté internationale et qui ne peut s’expliquer que par l’histoire, la géographie ou encore la démographie de ce pays grand comme cinq fois la France.
Ancien membre de l’URSS, le Kazakhstan partage avec la Russie quelque 7 644 kilomètres de frontières. Un passé qui laisse des traces, des populations russophones encore présentes dans le pays aux nombreuses entreprises russes implantées jusqu’à la coopération spatiale entre les deux pays autour du célèbre cosmodrome de Baïkonour. D’ailleurs, c’est vers Moscou que Nur-Sultan – le nouveau nom de la capitale Astana – s’était tournée en janvier dernier pour l’aider à rétablir l’ordre après plusieurs jours de violentes émeutes.
Un appui qui n’a empêché le Kazakhstan, quelques semaines plus tard, de maintenir son cap et sa neutralité dans le conflit ukrainien. Un choix qui s’explique aussi par le caractère intrinsèquement multi-ethnique de la nation kazakhe, qui conduit sa diplomatie à condamner toute forme de sécessionnisme ou d’irrédentisme ethnique ou religieux ; une constance diplomatique qui fait du Kazakhstan l’un des rares États à ne pas reconnaître la souveraineté du Kosovo, tout comme les prétentions des insurgés russes du Donbass.
« Nouveau rideau de fer »
Particulièrement difficile en ces temps de recomposition géostratégique mondiale, la position kazakhstanaise tente donc de maintenir le flambeau d’une politique étrangère multilatérale privilégiant les partenariats aussi bien avec la Russie que l’Union européenne, la Chine que le monde arabo-musulman. C’est ainsi que le pays essaie par tous les moyens de protéger son économie, très dépendante du rouble et des échanges avec la Russie, en s’abritant autant que faire se peut des sanctions occidentales à l’encontre de Moscou. Le Kazakhstan ne sera pas « un outil permettant de contourner les sanctions imposées à la Russie par les Etats-Unis et l’Union européenne », a récemment assuré Timur Suleimenov, chef adjoint de l’administration présidentielle, selon qui « la dernière chose que nous souhaitons est que des sanctions secondaires (…) soient appliquées au Kazakhstan ».
« Bien sûr, la Russie voulait que nous soyons davantage de son côté », a encore commenté M. Suleimenov dans la presse européenne, mais le Kazakhstan « ne prendra pas le risque d’être mis dans le même panier que la Russie ». « S’il y a un nouveau rideau de fer, nous ne voulons pas être derrière », a résumé le vice-ministre kazakhstanais des Affaires étrangères, Roman Vassilenko, dans un entretien accordé au quotidien allemand Die Welt – et ce alors que le cabinet de Kassym-Jomart Tokayev assurait, début avril, que le président et son homologue russe partageaient « une compréhension commune (…) sur un statut neutre, non-bloqué et non-nucléaire de l’Ukraine ».
Tout à sa volonté de ne pas devenir une victime collatérale d’une guerre lointaine, le Kazakhstan semble donc vouloir marquer sa singularité en devenant incontournable non par la force, mais par sa capacité à demeurer une plateforme d’échange et de dialogues entre les nations. Entre arbitre et faiseur de paix, cet immense pays d’Asie centrale tente donc d’accroitre son influence par le soft power diplomatique. Un pari risqué, mais plus que jamais nécessaire à la stabilité du monde.