Pour médiatiser l'urgence du combat, la nouvelle génération des activistes privilégie la désobéissance civile avec des actions coup de poing. Mais les Etats commencent à légiférer contre ces techniques pourtant efficaces.
Partout en Europe, le militantisme écologiste est passé à une nouvelle vitesse, multipliant sans cesse les actions médiatiques. On n’a pas oublié les rassemblements à Saint-Soline contre les mégabassines en France, et le festival de Cannes est perturbé par les protestants qui contestent les nombreux vols de jet privés. A Genève, d’autres activistes ont occupé une partie du tarmac de l’aéroport international, forçant les autorités aéroportuaires à interrompre brièvement le trafic aérien. À Rome, des militants écologistes de l’organisation Last Generation se mettent à nu avec de la boue sur les marches du Sénat Italien pour dénoncer l’inaction des élus face aux bouleversements climatiques… Et notamment la gestion actuelle des inondations en Emilie-Romagne, qui serait, selon eux, un avertissement supplémentaire préfigurant un avenir sombre.
A Londres, au Royaume-Uni, les manifestants ont tenté de s’introduire à l’assemblée annuelle des actionnaires du géant pétrolier Shell, et perturbé le déroulement de l’évènement. Carina Manitius, militante de Fossil Free London, explique : « Shell continue de forer de nouveaux gisements de pétrole et de gaz ici au Royaume-Uni et dans le monde entier, dans certaines des régions les plus riches en biodiversité, comme les Philippines et le delta du Niger. Malgré les analyses prouvant que la poursuite des forages nous poussera encore plus vers la limite des 1,5 degré, et donc davantage vers l’extinction et la catastrophe climatique. » Idem en France lors de l’AG récente de Total.
Les Etats contre-attaquent
Mais ces actions, pourtant non violentes et dans le strict respect des règles de la désobéissance civile, exaspèrent les gouvernement qui se trouvent critiqués face au retard de la lutte contre le réchauffement climatique. En Allemagne, des perquisitions ont été effectuées ce mercredi 24 mai contre des membres du mouvement écologiste «Dernière Génération» («Letzte Generation»), responsable de blocages de la circulation et d’actions dans les centres artistiques en vue de dénoncer la politique menée face au changement climatique. «Letzte Generation» est le collectif écologiste le plus en vue actuellement en Allemagne. Ses membres ont à plusieurs reprises collé leurs mains sur le bitume de grands axes routiers pour interrompre la circulation ou projeté différentes substances sur des tableaux dans des musées. «L’Etat de droit ne se laisse pas marcher sur les pieds», a tranché de son côté la ministre de l’Intérieur, Nancy Faeser, dans les journaux du groupe de presse Funke. Récemment, le tribunal de Heilbronn (sud-ouest) a condamné trois activistes à des peines de cinq, quatre et trois mois de prison ferme.
Au Royaume-Uni, un projet de loi très répressif sur l’ordre public vient d’être voté, qui alarme les Nations Unies. En octobre, la ministre de l’Intérieur britannique, Suella Braverman, prononçait un discours inquiétant lors de la conférence des conservateurs, à Birmingham. «Ce n’est pas la “liberté d’expression” que de protester violemment, […] ce n’est pas un droit humain que de vandaliser des propriétés», «on ne peut pas déclencher une émeute ou se coller aux routes et s’en tirer à bon compte», martelait-elle devant les membres de son parti. Dans son viseur : les éco-activistes qui perturbent la circulation à Londres, lancent de la peinture orange ou s’attachent à des objets et bâtiments. Braverman promettait alors d’arrêter «la horde», qu’elle avertissait : «Nous continuerons à vous mettre derrière les barreaux.»
Nul doute que la France suivra le mouvement. Depuis janvier 2022, le dispositif de Contrat d’engagement républicain (CER) votée par la majorité présidentielle dans le cadre de la loi dite « séparatisme », exige que les associations s’engagent « à s’abstenir de toute action portant atteinte à l’ordre public », sous peine d’être privées de subventions. Avec le CER, l’État fait peser une lourde menace financière sur les associations prônant la désobéissance civile, notamment Alternatiba, et resserre un peu plus son étau sur le mouvement écologiste. L’État use donc d’un éventail de dispositifs qu’il reconfigure pour traquer ceux qu’il désigne à sa guise comme les « ennemis intérieurs ».