Le responsable néerlandais de la lutte anti-terroriste estime que la menace d’un tueur isolé comme Breivik ou Merah existe aux Pays-Bas. Et sans doute ailleurs en Europe. La prolifération des armes légères rend l’hypothèse d’autant plus plausible. Pourtant, les services secrets hésitent à contrôler la violence d’extrême-droite.
Le Coordinateur de la lutte anti-terroriste aux Pays-Bas vient de remettre son rapport trimestriel au Parlement. Premier constat: le risque d’attentat terroriste sur le territoire national reste faible et le niveau de la menace "limité". S’il existe des groupuscules jihadistes comme 'Sharia4Netherlands', leur influence sur l’ensemble de la population est négligeable.
Le coordinateur souligne pourtant que les Pays-Bas constituent
une cible légitime pour les jihadistes à cause de la prétendue discrimination à l’égard des musulmans, des insultes contre l’Islam et Mahomet perçues dans notre pays et de notre participation à des missions (militaires) dans des pays musulmans.
Les imprécations du leader populiste Geert Wilders contre l’islam sont effectivement perçues comme autant d’insultes par les musulmans que j’ai rencontrés dans et hors le pays… Son film islamophobe Fitna, ses propositions d'interdire le coran, d'imposer une taxe sur le port du voile, son obsession du "tsunami islamique" sensé déferler sur l'Europe et ses considérations sur l'islam comme civilisation arriérée, ne lui ont pas valu que des amis. Au point qu'il vit dans des endroits secrets – hôtels, casernes, bases militaires – protégé en permanence par six gardes du corps aux frais du contribuable néerlandais.
La menace du "terrorisme blanc"
Ce qui inquiète davantage le coordinateur, c’est le "terrorisme blanc": entendez par-là, des groupes ou des individus violents, adeptes des thèses d’extrême-droite et de la "suprématie blanche".
La pensée du terroriste norvégien Anders Breivik montre de grands points communs avec les convictions de différents groupes aux Pays-Bas qui militent contre l’islam, la société culturelle et 'l’establishment de gauche'.
Il confiait hier au journal Telegraaf:
Depuis les actes violents de Breivik, d’autres accidents en Europe ont montré que cette menace est bien réelle. La vigilance est de mise.
Erik Akeboom citait notamment le meurtre de Sénégalais par un jeune homme proche de la Casa Pound, en Italie, et les meurtres de ressortissants turcs par une cellule néo-nazie en Allemagne.
Aux Pays-Bas aussi, des groupuscules néo-nazis ou suprémacistes blancs existent. Et ils aiment les armes à feu.
Folklore scandinave
L’un de ces groupes ultra-violents sévit en Hollande septentrionale, dans la région d’Alkmaar. Ses membres viennent d’une branche néerlandaise de 'Blood and Honour', le réseau suprémaciste blanc fondé par Ian Stuart Donaldson, le chanteur du groupe RAC (Rock Against Communism) SKrewdriver (Tournevis: ça ne s’invente pas !).
Mais les violences auxquelles ils se sont livrés – notamment lors de heurts avec des groupes antifascistes – les ont contraint à se dissoudre en 2006. Certains vétérans n’ont pas accepté la dissolution et ont recréé un autre groupuscule. Dont les liens permanents avec le réseau 'Blood and Honour' ne font aucun doute.
Son nom, 'Hulfhednar', vient de la mythologie scandinave. Dans les sagas norvégiennes les 'hulfednar' sont des guerriers revêtus d’une peau de loup, qui se changent en animaux sauvages lorsqu’ils chargent un ennemi. L’équivalent loup-garou du "berserk", le guerrier à la peau d’ours, lui aussi fréquemment présent dans le bestiaire néo-nazi… Et qui a donné l’expression anglaise going berserk, péter les plombs !
Des armes saisies chez les suprémacistes
La police a saisi chez les membres de ce groupe des armes à feu semi-automatiques en octobre dernier. Les services secrets néerlandais (AIVD) surveillaient l’habitation de Rony de Koning, le leader du mouvement. Ils y ont découvert un sac rempli d’armes et des munitions dans la maison.
Les services de renseignement n’ont pourtant pas l’air de prendre cette menace au sérieux. Dans un rapport récent sur les mouvements extrémistes aux Pays-Bas, ils écrivent:
Chez les extrémistes de droite, il existe une fascination pour les armes et on exalte certaines formes de violence. Il n’y a aucune preuve que ces armes ont été rassemblée afin de servir lors d’actes de violences ou en vue d’objectifs déterminés.
Ce n’est pas du tout l’avis des membres du réseau antifasciste Kafka, qui étudie ces mouvements aux Pays-Bas depuis des années. Pour eux,
la combinaison extrême-droite et armes à feu est plutôt dangereuse, voire mortelle.
Ils rappellent que les leaders de ce groupe ont un passé chargé: tentative de meurtre, maltraitance grave, détention de substances dangereuses, incendies volontaires, violence publique et possession illégale d’armes à feu…
La violence extrémiste de droite sous-estimée
Certains de ses membres ont été arrêtés dans les Ardennes belges, en possession de sept véhicules militaires ET d’armes illégales dans ce qui était sans doute possible un camp d’entraînement de milices d’extrême-droite…
Pour les membres de Kafka, il ne fait aucun doute que 'Hulfhednar' est un groupe orienté vers la lutte violente. Certains de ses membre sont des tireurs chevronnés et collectionnent les armes à feu.
Tout au long de l’année 2011, des "incidents" ont émaillé la vie de ces groupes: déprédations, voire incendie volontaire de mosquées, agressions de personnes musulmanes ou de demandeurs d’asile, etc.
L’exemple de Breivik, comme le rappelle le coordinateur de la lutte anti-terroriste, montre que cette violence "symbolique" peut se muer en assassinat de personnes jugées indésirables. Et pourtant, le même coordinateur ajoute que les armes saisies auprès du groupe Hulfhednar "étaient probablement destinées à être revendues".
Priorité numéro un : le jihadisme
Quand aux services secrets néerlandais, ils ne se montrent pas très enthousiastes à l’idée de surveiller ces groupes: leur priorité numéro un reste le jihadisme.
Dans leur rapport sur l’extrême-droite, ils insistent sur le fait que celle-ci est extrêmement fragmentée et que ses leaders "se séparent de ces mouvements" parce qu’ils vieillissent. C’est oublier la relève. Le leader de 'Hulfhednar' est né en 1986, ses lieutenants en 1990 et 1985…
En Belgique, les services secrets ont cessé de surveiller les partis d’extrême-droite alors qu’ils placent toujours les partis d’extrême-gauche sur écoute.
32 armes pour 100 habitants en France et aux Pays-Bas
La fragmentation de l’extrême-droite ne rend pas ses idées moins dangereuses: jusqu’à preuve du contraire, Anders Breivik, le tueur d’Oslo [77 victimes] ; Gianluca Casseri, le tueur de Casa Pound [décembre 2011]; Hans van Themsche, le tueur d’Anvers [reconnu coupable de l'assassinat, avec circonstance aggravante de racisme, d'une petite fille de 2 ans et de sa nourrice malienne ; 2006] ; John Ausonius, le tueur de Stockholm [11 victimes d'origine étrangère en 1991 et 1992]… autant d’hommes blancs isolés. Autant de tueurs inspirés par des idées d’extrême-droite.
Les Nations Unies estiment qu’environ 875 millions d’armes à feu circulent dans le monde. Une carte de la possession de ces armes montre que l’Europe est loin d’être à l’abri: les États-Unis sont champions toute catégorie avec 90 armes à feu pour 100 habitants. Mais, des pays comme la France ou les Pays-Bas sont dans la deuxième catégorie avec 32 armes pour 100 habitants.
Seul ou en groupe, la parole haineuse tue.