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Xavier Beulin, patron de FNSEA: la PAC est à coté de la plaque

vendredi, 18 janvier, 2013 - 12:38

Pour Xavier Beulin, le président de la FNSEA, la nouvelle politique agricole commune (PAC) en négociation à Bruxelles passe à coté de l'essentiel: la dérégulation des marchés mondiaux des produits agricoles. Interview.

Les discussions sur le budget européen 2014-2020 piétinent depuis des mois. Y compris sur le budget de la PAC, la politique agricole commune. Sur quoi portent les divergences entre les pays?

Beaucoup de choses ont changé en Europe avec l'élargissement. Il s'agissait auparavant de rapprocher les positions allemandes et françaises et d'y agglomérer les pays du sud pour négocier face à la Grande-Bretagne et aux pays scandinaves.

Aujourd’hui, avec l'arrivée des nouveaux Etats membres, il s'agit d'un jeu d'acteurs beaucoup plus compliqué, des pays comme la Pologne ou les Baltes considérant que leur adhésion à l'UE leur ouvre un droit à un rééquilibrage des soutiens.

L'Allemagne estime qu'elle paie trop pour l'Europe et réclame une diminution de sa contribution au budget de l'Union européenne. Elle se trouve donc un peu en porte à faux en réclamant un maintien des dépenses agricoles.

La France est attentiste mais tente de défendre la PAC. Quant aux Italiens, ils ont l'œil rivé sur les importants soutiens qu'ils touchent et ils s'inquiètent des exigences de la convergence qui impliqueraient des transferts à l'Est.

Ce qui est certain c'est que, faute d'accord rapide, la nouvelle PAC ne pourrait être lancée comme prévu en janvier 2014.

Justement, cette nouvelle PAC, comment l'appréciez-vous?

Les deux principaux objectifs de cette réforme sont d'encourager les efforts faits par les agriculteurs pour l'environnement et un plafonnement des aides. Ainsi, par exemple, sur 1000 euros d'aides, 300 seront fonction des efforts faits en faveur de l'environnement. Cela implique notamment une diversification des cultures. Sur une même exploitation, trois cultures différentes devront être mises en œuvre et aucune ne devra occuper plus 70% des terres. De plus 7% des surfaces devront être des 'zones écologiques' réservées à l'herbage, aux haies, au reboisement…

Cette réforme est jugée nécessaire pour renforcer la légitimité des aides européennes à l'agriculture auprès des citoyens européens.

Or dans le même temps, on est en passe de supprimer toute forme d'intervention sur la gestion des marchés agricoles. C'est dangereux dans le contexte mondial, surtout quand on voit le prix élevé des grains et la pénalisation qui en découle pour les éleveurs. On ne gère plus de stocks publics et on arrive plus de ce fait à bien évaluer les disponibilités. Or je vous rappelle qu'au dernier G20, la France réclamait plus de transparence sur la gestion de la production, de la consommation et des stocks.

Aujourd'hui les marchés sont mondiaux, mais si on connait grâce aux satellites la production mondiale, et plus ou moins la consommation, en revanche sur les stocks, la qualité de ces stocks, et les pays qui les détiennent, l'opacité est totale. Cela laisse libre cours à toutes les spéculations.

Il faut parallèlement mettre de l'ordre sur les marchés financiers. Il ne s'agit pas de les tuer, on en a besoin, mais il faut mieux les contrôler pour éviter les dérapages à la baisse ou à la hausse sur les prix. Le commerce des produits agricoles est devenu colossal. On échangeait à Chicago en 2007 cinq fois la récolte de blé mondiale et l’année suivante on est passé à 45 fois!

Cela engendre évidemment de dangereuses instabilités économiques et sociales. Les révolutions arabes sont aussi la conséquence de la spéculation sur les denrées alimentaires. Les prix avaient artificiellement flambé en 2010 accentuant le mécontentement populaire en Tunisie comme en Egypte.

En Egypte où un ménage dépense 30% de ses revenus pour se nourrir et ce chiffre est même monté à 50% en 2010-2011. En France, un ménage dépense en moyenne 11% de ses ressources pour se nourrir, mais sur 1 euro dépensé par le consommateur final, seuls 7,8 centimes reviennent à l'agriculteur. La PAC aurait dû prendre en compte ces questions fondamentales.

L'essentiel du budget de la PAC, ce sont les aides directes. Est-ce un système adapté à l'agriculture d'aujourd'hui? 

Jusqu'en 1992, nous avions un système de soutien par les prix. Ensuite, on a fait de la compensation entre prix mondial et prix local. Enfin, on en est venu au découplage des productions et des aides. En clair, on n'aide plus en fonction des quantités produites, mais simplement en fonction des surfaces cultivées, cela pour en finir avec un soi-disant "productivisme". Toutefois, après 2014, on pourrait encore encourager certaines productions, par exemple dans le domaine de l'élevage. C'est ce que l'on appelle du mot barbare de "recouplage". 10% des aides pourront être ainsi "recouplées".

En réalité, il nous faudrait plus de flexibilité, par exemple des aides contracyclique en fonction de l'évolution de la demande et de la production.

Une réelle coopération agricole entre les pays de l'Union européenne est-elle possible?

Le grand défi de la PAC c'est de devoir répondre à des systèmes agricoles très diversifiés alors que cette politique tend à normer tous les dispositifs. Résultat: on tue les spécificités régionales car la subsidiarité ne fonctionne pas.

Mais nous avons quand même progressé sur les normes de qualité (les AOP – Appellations d'Origine Protégée – ou les IGP – Indications Géographiques Protégées) et il y a une reconnaissance mutuelle de certaines spécificités.

Vous présidez également Sofiproteol, une entreprise intégrant tout le processus de production de la filière des oléagineux. Quelle en est l'origine?

Depuis les années soixante et le "pacte" informel americano-européen, le maïs et le soja étaient produits et exportés par les Etats-Unis, alors que l'Europe dominait le marché mondial du blé. On considérait ainsi que les oléagineux en Europe n'avaient pas d'avenir. En 1985, l'Union européenne a perdu tous ses recours devant les instances commerciales internationales (les "panels" du GATT). C'est pourquoi mon prédécesseur, Jean-Claude Sabin, s'est dit qu'il fallait aller chercher la valeur ajoutée en aval de la filière. Dans les années 90, Sofiprotéol a alors investi dans les marques, les biocarburants, la chimie du végétal, les filières animales…

Toutefois, ce type d'intégration de l'ensemble de la filière, du producteur au consommateur, reste plutôt rare. Or dans la filière bovine par exemple, il faut se regrouper pour conquérir des marchés au Maghreb, au Proche et Moyen-Orient par exemple. D'où la création d'un groupement de vente à l'export. En dix-huit mois, cela a permis de revaloriser les prix de plus de 20 %.

Par ailleurs, n'oublions pas qu'en France, cinq centrales d'achat réalisent 85% des ventes de produits alimentaires. Si en face, l'offre reste atomisée, les producteurs ne s'en sortiront pas. Dans le secteur des oléagineux, disposer d’une marque comme Lesieur offre un pouvoir de négociation face aux grandes enseignes de la distribution.

Quelles sont les grandes filières en France?

La France est par excellence le pays de la diversité agricole et alimentaire ; évidemment, il y a des filières qui pèsent plus ou moins : les grains, le lait, les viandes (bovins, ovins, porc, volailles, etc…), la viticulture, les fruits et légumes. Il y a aussi des productions à plus forte valeur ajoutée, par exemple le Comté. Regardez ce qu’ont fait les producteurs de Comté , c’est remarquable. Ils sont solidaires et défendent leur filière interprofessionnelle en maitrisant la qualité de la production avec un cahier des charges très précis. Ceci tout en gérant les volumes de production par rapport à la demande, ce qui leur permet de valoriser au mieux leurs produits.

Et où en est l'intégration des filières dans les autres pays?

La notion d'intégration est plus poussée dans les pays d'Europe du nord, mais les produits alimentaires y sont plus basiques. Mais quand je compare avec les pays qui ont eux aussi une importante diversité culinaire, je me dis que la France n'est pas si mal organisée pour un pays où il y a pléthore de produits alimentaires.

Mais ne nous en plaignons pas. N'oublions pas qu'un pays qui produit plus de 365 sortes de fromages ne peut pas perdre la guerre! , comme le disait le général de Gaulle à la veille du débarquement en Normandie.  




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